"Et si j'aime bien monter dans les arbres, c'est pour m'éloigner de la terre, c'est juste pour mieux

Bande dessinée découlant d'une rencontre, celle d'un français Sylvain SAVOIA, et d'une polonaise, Marzena SOWA. Il écrit et dessine de la bande dessinée, elle lui parle de son enfance et Marzi nait. La couverture de ce premier recueil, comprenant les quatre premiers tomes de l'aventure, ne me donnait pas forcément envie. Une ruée historique et politique, mouais. Mais en l'ouvrant, la bande dessinée est extrêmement addictive, autant pour les jeunes lecteurs que pour les adultes.


Marzi est fille unique d'un couple habitant un immeuble dans une ville ouvrière de Pologne. Nous découvrons son enfance par bribes. Des moments de classe, de jeux d'enfants pas vraiment sages mais que nous ne pouvons pas détestés. Qui n'a pas appelé l’ascenseur juste pour embêter un adulte à un autre étage? Marzi se raconte, la famille chez qui elle va, les cadeaux offerts par le tonton, les premières boucles d'oreilles, la télévision, les jouets de pauvres ou de riches, les jeux d'extérieur.
Un enfance un peu comme toutes les autres. Et bien non, elle ne connait que sa vie mais le quotidien d'une petite polonaise des années 1980 est bien différent du notre. Les priorités ne sont pas les mêmes: se nourrir en Pologne communiste en ce temps-là, c'était ravitaillement primaire, tickets de rationnement, files d'attente pour acheter un produit unique (de quelques heures à une nuit, voire même à quelques semaines en se montrant tous les matins pour l'appel des clients). Nous nous émouvons devant un réfrigérateur, des oranges ou un collier de papier toilette. Certaines rencontres la déstabilisent, une cousine née en France venue au pays en vacances, tellement différente avec son paquet de mouchoir en papier.
Et puis il y a la politique et son actualité. Présente en filigrane mais à demi-mots. Les adultes n'en parlent pas dehors, juste chez eux et les parents de Marzi ne lui disent rien. Il y a la télévision mais la gamine ne comprend pas. La guerre est déclarée le 13 décembre 1981, les tanks défilent, les "zomos" chassent les grévistes des usines, il faut des papiers d'autorisation de circulation dans la région. Marzi en saisit la tension, la peur de se faire massacrer ou de devenir une petite espionne. Mais elle reste dans le flou.
Ce qui transpire plutôt ce sont les astuces des polonais pour faire face. A la pénurie alimentaire en ramenant des provisions de la campagne, en cultivant un petit jardin même le week-end, en organisant un mini-marché noir "au prix des voisins", en se donnant le mot d'une nouvelle livraison au magasin, en se reléguant dans les files d'attentes. La religion prime aussi, un chemin balisant la semaine, la vie même. La messe, la première communion, des carpes en aquarium de baignoire, une certaine forme de communication.
Le plus fort reste la solidarité, les amis et la famille. Dans des appartements minuscules, ils accueillent, préparent des festins, partagent, discutent, déplument les oies, prient, chantent et chantent encore.


En suivant le regard de cette enfant, tout en pan de petits bonheurs apparait. Une vie est dure mais accompagnée. Et Marzi est pleine de vie.
Un quotidien trivial mais aussi empli de poésie, de réflexion. Marzi petite gamine grandit. Ses premiers intérêts comme les jouets, la décoration de sa chambre, deviennent plus complexes, jalousie, solitude, peur pour sa famille.
"Marzi" est une magnifique proposition. Dans ses souvenirs d'enfance, il y a bien sûr une autobiographie mais la Pologne se découvre dans ce qui fait sa chaleur. Peu à peu nous comprenons quelques éléments de son contexte politique et surtout les moyens mis en avant par ses habitants. La résistance électrique à la boutonnière comme résistance politique, la nuit et les bougies contre la vision imposée d'une seule communication propagandiste. Et Lech Waleza arrive: le second recueil "Marzi, 1989" semble être plus tourné vers l'actualité de ce pays. A suivre!
Ce premier intégral comprend: Petite carpe, Sur la terre comme au ciel, Rezystor, Le bruit des villes.

Vef
8
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le 1 mai 2016

Critique lue 312 fois

Vef

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