Ce tome 2, riche en expériences oniriques, semble pourtant moins prenant que le tome 1. On est bien dans une sorte de journal de rêves, et Julius Corentin Acquefacques persiste à transcender les frontières entre les différents niveaux de réalité et d'irréalité, mais on perçoit moins le sens général de l'ensemble.

Le chapitre 1 nous assène un chaos créateur originel, où tout s'éparpille dans une sorte de chute libre telle que la relativité la définit, c'est-à-dire qu'on peut tomber dans n'importe quel sens, tout dépend du repère que l'on prend comme référence spatiale pour affirmer qu'il y a chute. Echange de chutes, échanges de rêves avec le voisin de Julius, Hilarion Ozéclat, jamais lassé de préparer des blagues dont personne ne rit. Le rendu de cette étrangeté est satisfaisant, dès lors que le lecteur sait s'abandonner à cette logique un peu brumeuse du demi-sommeil ou de premier choc éthylique. La fin de ce chapitre nous renvoie à d'autres dessinateurs se mettant eux-mêmes en scène, en train de produire leurs propres personnages, tels que Fred avec son "A", ou Edika dans nombre de ses gags (avec, ici, un emploi de la photographie qui confirme cette allusion à Edika).

"Aquatique", le monde d' "Acquefacques" l'est dans la mesure où l'on franchit les seuils des différentes irréalités sans grande transition, si ce n'est la rituelle chute de Julius hors de son lit. Dans le chapitre 2, la rationalité, en arrière-plan dans chaque rêve, se manifeste sous la forme de contrôleurs sévères qui mesurent l'espace absurdement restreint réservé à Acquefacques : on est passé sans hiatus de l'ivresse de l'espace infini et incontrôlable à l'espace confiné et hyper-contrôlé : deux pôles de l'imaginaire névrotique qui n'en excluent pas beaucoup d'autres.

Le chapitre 3, apparemment le plus Kafkaïen (c'est un procès), est tourné en dérision par l'expression orale du Juge (en vers, assez mal bâtis) et celle des jurés (qui chantent). Ensuite, assez soudainement, apparaît le thème du point à atteindre dans le désert, point qui recule sans cesse avec l'horizon, et qui est l'occasion, comme dans le film "Inception", d'entrer dans un nouveau rêve où Julius est seul spectateur dans une salle, dont la foule se trouve sur scène; mais on sort rapidement de ce niveau de rêve, pour se retrouver dans une gare assez absurde, menant à un phare où Julius fait enfin l'expérience de la Couleur... Mais c'est un rêve, bien sûr.

Les architectures monumentales des différents bâtiments officiels ont toujours un cachet totalitaire, mais, avec leurs pilastres de façade nus, et leurs corniches lourdement saillantes, peuvent renvoyer aussi bien aux gratte-ciel de Chicago des années 1920-1930 qu'aux délires soviétiques ou roumains des belles années du "socialisme réel". On appréciera que l'emblème du Palais de Justice (planche 13) n'est pas une balance à deux plateaux, mais est quand même une balance à curseur : la rupture avec l'aspect visuel accoutumé des deux plateaux qui s'équilibrent recourt au phénomène psychologique de contamination entre le langage et la représentation.

Quant à la Qu... , dont il parfois question ici, on ne sait pas trop ce que c'est : Quête ? Queue ? Tout est permis, dès lors que le refoulement ostensible dont ce mot fait l'objet fait supposer qu'il revêt une grande valeur émotionnelle dans ce monde onirique.

L'album vaut surtout par l'excellente restitution de la logique- (de l'illogique) des rêves. Toutefois, la fantaisie des enchaînements rend difficile de saisir une véritable progression de l'action.
khorsabad
8
Écrit par

Créée

le 27 déc. 2013

Critique lue 533 fois

7 j'aime

2 commentaires

khorsabad

Écrit par

Critique lue 533 fois

7
2

D'autres avis sur La Qu... - Julius Corentin Acquefacques, tome 2

La Qu... - Julius Corentin Acquefacques, tome 2
Kabuto
4

Critique de La Qu... - Julius Corentin Acquefacques, tome 2 par Kabuto

L’album le plus onirique de la série. Julius rêve, se réveille et rêve encore. On s’y perd et cette fois je n’ai pas ressenti l’étincelle habituelle. Une petite déception.

le 1 févr. 2018

1 j'aime

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14