Une analyse du tome 1 pour montrer combien ce manga est bien conçu !

Je profite de la possibilité de rédiger une revue critique pour le seul tome I. J'entends beaucoup de critiques acerbes sur ce manga qui n'est visiblement pas compris par les gens. Et ce n'est pas le dessin sa qualité principale. Le dessin jouit d'un important traitement informatique qui permet d'avoir des allures de photographies sur plusieurs cases, mais objectivement ce ne sont pas franchement des dessins d'une finesse artistique éblouissante. En revanche, les dessins sont composés pour inviter à la méditation, à la contemplation, au relevé des petits détails subtils. C'est un manga qui se lit en observant les champs et contre-champs, en observant la position du personnage dans l'espace : est-il noyé dans le décor ? Domine-t-il la scène ? S'il est figé, pourquoi l'est-il ? On voit des gens assis contre un pilier, assis dans un avion, assis sur un banc, et le regard d'un seul de ces personnages relie toutes ces images d'hommes en position assise et cela délivre une pensée voyageuse sur le monde... Dans ce manga, on apprécie que le visage qui regarde soit vu par derrière la nuque, ou bien que le visage soit mangé par le bord de la case comme quelqu'un qui ne voudrait pas être là, qui se détourne, qui essaie de passer inaperçu, etc. C'est un manga qui décrit une vie sociale réaliste avec des mots de tous les jours, mais des mots qui transpirent de sens, comme les portraits physiques, agréables ou pas, transpirent de significations sur leur vie de fortune ou de misère, sur leur égoïsme ou sur leur isolement... Le manga débute avec une intériorisation d'émotions de la vie de tous les jours pour ensuite nous poser un héros dont les actions sont déterminées par le passif de tout ce qu'il a vécu et bien sûr par le questionnement existentiel qui en résulte.

Quelqu'un qui dit du mal de ce manga, vous pouvez immédiatement en conclure qu'il n'a pas l'esprit critique et que s'il commente parfois des mangas réputés c'est uniquement pour se la péter. La preuve, ce que je dis ci-dessous est inattaquable...

**

Analyse du premier tome : nous découvrons une famille japonaise réaliste avec des signes sociaux typiques de la réalité japonaise. Un mari de 58 ans qui fait plus vieux que son âge n'est plus aimé de sa femme qui ne se lie plus qu'aux enfants et vit son mari comme un fardeau. Les deux enfants, la grande soeur lycéenne et le petit frère collégien, ont honte de leur père, et n'ont pas de reconnaissance de ce qu'il fait pour eux dans la vie. Le père est l'exemple de millions de japonais qui sont moins qu'un chien domestique auprès de leur famille, femme et enfants. Victime de brimades au quotidien, ce père cherche l'émotion amitieuse des êtres et cherche aussi à ne plus être un objet de honte. Le récit bascule alors dans une dimension fantastique quelque peu farfelue, mais très habilement conçue pour permettre à ce manga de se déployer en terme de satire sociale.

4 pages en couleurs pour commencer, nombreuses onomatopées de bruits, mal au dos du personnage principal. Gros plans sur les visages.

La famille en voiture arrive sur le lieu de leur nouvelle résidence, et les rapports entre frère et soeur sont mesquins. La soeur lâche le propos suivant : « Je m’en fiche tant que je ne partage plus ma chambre avec le nabot. » Et le frère sort une phrase amère et ironique : « C’est le plus beau jour de ma vie. » On n'en sait pas encore, mais c'est déjà très bien écrit.

La maison où ils emménagent après l'achat est un projet ancien du père, projet contesté par la mère : « C’est ton père, il n’a pas voulu prendre un crédit. »

On observe un contraste social hyperbolique entre voisins avec la Ferrari du sieur Oda, première mise en abîme d’Hiroya Oku face à l’auteur de One Piece.

Première page en noir et blanc, fin de la couleur, la famille de quatre devant un immeuble, sur le côté des employés déchargent les caisses pour eux. Position statique, figés. Champ, contre-champ, l’immeuble avec les persos de dos, puis le regard de la famille à peine sortie de la voiture. Jeu sur les visages. La fille félicite le père, mais le père a un visage fermé. On apprend en quelques pages qu’il y a erreur sur la maison. Leur maison est à côté et n’a pas ce luxe. Les critiques de la maison fusent : alliance de la mère avec les deux enfants même si elle temporise. Les déménageurs rappellent ce qu’ils ont fait, les personnages sont contemplatifs et surtout méditatifs. La mère et les enfants méprisent les sacrifices du père et le fait qu’il a préparé cet achat sur un temps long. Ils n’ont pas conscience qu’il a fait cette acquisition selon ses possibilités. Les critiques ne sont pas qu’injustes. Les enfants font remarquer qu’ils sont passés d’un appartement à une maison mal exposée à la lumière et petite, mais il y a une incompréhension familiale et surtout un rejet dédaigneux du père par la mère et les enfants. La fille est particulièrement désagréable, « cassante » comme dit la mère, et comme on apprendra qu’elle veut devenir mangaka il n’est pas de peu d’importance de comparer le début du manga à sa conclusion. La fille est un personnage secondaire, mais cette histoire va la transformer et cette transformation est un peu à l’image sans doute de ce qu’Hiroya Oku, l’auteur lui-même, doit penser de sa place dans la société, et cela est en lien avec une philosophie d'acceptation de la vie visiblement.

La mère invite les enfants à manger dehors en laissant le père seul avec « sa » maison. Il y a un jeu sur l’absence de réponse. Le père propose de défaire les cartons, mais les autres s’en vont manger, ce qui est le contraire d’une installation, c’est très bien pensé.

Le récit se poursuit par une mise en place. Le père subit des vexations dans le métro. Il n’est pas courageux dans son état physique, il prend sur lui, s’écrase, se fait discret, ne répond pas, fait le dos rond. Rejeté par sa famille, le père dont le nom Inuyashiki l’assimile à un chien de compagnie mal intégré à la communauté humaine décide d’adopter un chien, ce qui agace ses proches, mais ce chien lui donnera le moyen de partager des émotions amitieuses avec un être. On remarque le côté irresponsable de la famille. La fille est la seule à accepter qu’il achète un chien, mais comme il va le récupérer dans un refuge, elle rejette l’idée de l’accompagner pour le choisir. C'est à la fois l'inconséquence des jeunes qui veulent le chien, mais ne fournir aucun effort, et cela se double bien sûr du mépris pour un chien qui n'a pas la classe, un chien de refuge ce n'est pas une Ferrai qu'on admire. Nous avons alors un jeu de gros plans sur les visages de ce père et de différents chiens qu'il rencontre et ce jeu finit par insister sur l’entente particulière entre notre homme et le chien qu’il va décider finalement d’adopter. Les deux êtres se sont comme reconnus.

Les vexations suivent leur cours. La fille est particulièrement méchante. Elle traite son père de "grand-père" devant ses amies, elle a honte d'être en public avec lui et le lui fait savoir.

Le père assiste avec son fils un soir à une agression, il n’intervient pas sur-le-champ, bien qu’il manifeste sa rage par sa main crispée sur son sac. Il n’a pas de courage et son fils se moque de son projet de digérer sa culpabilité en téléphonant après-coup au commissariat. On est bien dans la mise en place d'éléments d'intrigue appelés à justifier le titre du manga : Last Hero Inuyashiki.

Ichiro Inuyashiki, ce monsieur d'âge mûr, découvre alors qu'il a un cancer et qu'il ne lui reste que trois mois à vivre. Il hésite à s'en ouvrir à sa famille, et y renonce constatant qu'ils n'ont aucune prédisposition à l'écouter, à s'intéresser à lui.

Le chien, lors d’une promenade, amène le "vieux" de 58 ans sur le terrain où son destin va être bouleversé : le rôle déclencheur du chien est souligné par l’image de la laisse qui échappe à la main de monsieur Inuyashiki.

L’accident est bien préparé, puisque le père sur cette pelouse pleure et fait un bilan triste de sa vie en se demandant si les siens seraient tristes d’apprendre qu’il va bientôt mourir, et puis un peu plus loin il y a un jeune inconnu dont on ne sait rien, dont on ignore les pensées. Ce jeune médite sans doute, il regarde au loin le ciel. On a donc un drame sur la destinée de ces deux personnages qui se fond à l'idée que tous deux sur cette pelouse méditaient sur le sens de leurs vies respectives. Soudainement, une explosion emporte ces deux êtres humains. La rupture avec le réalisme est brutal. Des extraterrestres irresponsables ont percuté la terre et tué nos deux hommes. Ils recréent les deux humains avec du matériel de combat. Ils suivent un protocole : il ne faut pas que les humains soupçonnent un dégât causé par des extraterrestres, mais ils traitent la procédure par-dessus la jambe, et c’est paradoxalement leur manque de sérieux qui va faire naître deux personnages aux super pouvoirs. Il faut observer qu’une voix précise que cela est dangereux pour la planète, et effectivement nous allons avoir une histoire avec d’un côté un héros, le sympathique Inuyashiki, et de l’autre ce jeune mystérieux qui va avoir droit aux mêmes armes dangereuses de super héros, mais qui risque bien d'en faire un tout autre usage…

Seul dans sa chambre avec son chien, le père découvre par un rejet du repas qu’il n’a pas digéré qu’il est devenu un robot. Il s’exclame : « Je ne suis plus moi. » C’est par une action héroïque et une émotion de justicier qu’il va accepter sa transformation qui tout en lui étant utile ne l’empêche pas de constater qu’il agit avec l’âme humaine qui est toujours la sienne. La subtilité vient de ce qu’enfin fort le courage va petit à petit prendre place en lui et modifier sa personnalité.

Le personnage devient un super héros aux super pouvoirs, mais cela se manifeste par une technologie sophistiquée qui dépasse l’entendement, il est plutôt de l’ordre de la super machine. C’est un propos quelque sarcastique sur la possibilité de devenir un super héros. Le héros ne ressemble pas à Superman ou à Goku, il a le côté grinçant d'un cauchemar d'invention mécanique insupportable à regarder. La machine est invraisemblable, le personnage se transforme en multiples armes combinées, il est un ordinateur ultra puissant, il a une caméra. L’agression du clochard par des jeunes est un cliché des mangas d’Hiroya Oku. Ici, le traitement est particulièrement touchant, bien que nimbé d’invraisemblable. Le clochard est à la veille de retrouver une vie sociale, il a un travail et demain un appartement, et son ancienne compagne est prête à lui donner sa chance et cela nous est dit par-dessus une image du clochard visage usé par sa vie difficile. Les jeunes attaquent donc un clochard en passe de reprendre une vie normale. Monsieur Inuyashiki qui a tout entendu et suivi avec son matériel sophistiqué décide d’intervenir cette fois. Sa dimension de machine semble lui donner le courage qu’il n’avait pas. Et c’est un propos sur la société qui est assez vrai et que les films ou livres ne soulignent guère, mais souvent les gens courageux capables d’intervenir dans une bagarre physique sont des gens qui savent déjà qu’ils sont au-dessus du lot pour se battre à coups de poing et coups de pied. Ils ont déjà des prédispositions physiques, et soit ils vantent le fait d’être courageux tout en sachant qu’ils choisissent d’intervenir dans des situations où ils sont déjà les plus forts, soit ils prennent certes des risques que les autres n’osent pas prendre, mais ils ont été un peu conduits à être plus courageux par leurs prédispositions. C’est exactement ce qui arrive au père Inuyashiki, sa dimension de machine est une forme de prédisposition physique au combat, et même s’il brûle sous les pétards qu’on lui envoie et donc subit une douleur qui pourrait le faire renoncer il va à l’action alors qu’avant il s’écrasait. Il ne s’agit pas d’une montée d’héroïsme parce qu’il n’a rien à craindre, mais bien de la révélation d’une aptitude qui justifie son intervention même s’il court un risque. On a trop souvent tendance à croire que les gens qui se battent sont courageux par un don exceptionnel de leur volonté. S’investissant dans son nouveau rôle, monsieur Inuyashiki se dresse devant le clochard pour le protéger et on a droit à un traitement décalé humoristique d’un clochard visage buriné qui pleure en regardant comme une princesse le héros qui est venu le sauver et qui a lui-même l’allure d’un vieillard. D’apparence extérieure, monsieur Inuyashiki n’a pas changé en devenant un robot, mais le jeu des dessins nous fait ressentir sa détermination et sa nouvelle stature, tout en nous faisant sourire par les indices d’un étrange décalage.

La résolution du conflit est elle-même fortement liée au ressenti du personnage principal. Il sauve un personnage rejeté qui est un peu dans une situation similaire à ce qu’il vit avec sa famille. Et il ne va pas tuer les nombreux huit agresseurs, mais il va les identifier et diffuser sur tous les médias (internet ou télévisions) les images et les enregistrements sonores qui prouvent de manière accablante que cette bande tue la nuit des clochards en s’amusant à les persécuter le plus longuement possible. Il y a une vengeance par le regard social réprobateur. Et, après son intervention de pure mécanique, le héros demande de l’eau, ce qui est assez comique et pertinent à la fois. L’eau est un aliment neutre pour une machine à apparence humaine et un symbole aussi d’une vie naturelle et humaine.

Après avoir découvert qu’il était une machine, Ichiro Inuyashiki se disait désespéré, il prétendait vivre un cauchemar. Son action l’a réjoui. Il considère que c’est la preuve qu’il n’a pas cessé d’être un humain avec un cœur, mais c’est plus subtil qu’il n’y paraît, puisque quand il était entièrement humain par son corps Inuyashiki n’avait pas le courage de sauver les gens autour de lui. Il est en train de découvrir que paradoxalement ce pouvoir de machine va lui permettre d’être l’humain qu'il n'a jamais été, un être humain qui se respecte et qui est fier de lui parce que non seulement il a les émotions du coeur, mais parce que désormais il va mettre ses actes à l'unisson de ses indignations morales.

Le premier tome se termine sur l’introduction du second personnage devenu robot. C’est un lycéen immature, fan de mangas et notamment de One Piece, ce qui renforce la mise en abîme de début de manga où un Oda fils d’un mangaka célèbre roule en Ferrari. Ce lycéen méprise son ami Chokko d’être fan de Gantz, nouvelle mise en abîme. La joute verbale est significative. Pour la plupart des gens, et selon un personnage du manga, Gantz ne ferait que raconter avec complaisance des récits où les gens s’entre-tuent. Chokko reproche à son ami de ne pas comprendre la profondeur de l’œuvre et il lui signifie aussi qu’il est incapable de tuer des gens, qu’il a une répugnance à tuer, pied-de-nez à l’idée que la lecture de Gantz consisterait à se complaire dans les histoires de meurtres. C’est le fan de One Piece qui semble traiter la vie avec autrement de désinvolture. Sa transformation en machine qu’il confie à Chokko est vécue comme l’acquisition d’un nouveau jouet, et on peut soupçonner en lui le profil d’un psychopathe irresponsable à la Death Note.

davidson
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le 22 mai 2022

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davidson

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