Le danger public - Manu T3
6
Le danger public - Manu T3

BD franco-belge de Frank Margerin (1994)

Troisième de la série des « Manu », cet album de 1994 nous renvoie avec insistance à une époque considérablement antérieure à sa période de création. On n’est plus dans l’ambiguïté un peu trompeuse des années 1975-1980 du tome 2, avec ses velléités punk et son enracinement dans le décor de « cités » supposées être la norme de vie du petit peuple français. On est carrément au cœur des beaux jours des Trente Glorieuses, lorsque la petite famille aux petits moyens expérimente les comportements et possibilités nouvelles apportés par la prospérité.

Par rapport au tome 2, les différences sont de taille : Manu n’est pas spécialement gaffeur, tout au moins par comparaison avec son père, qui accumule les maladresses, les vantardises médiocres et les comportements puérils. Car – et c’est une autre différence majeure – Manu n’est plus du tout avec son copain Robert (le filon des tours pendables entre copains s’épuiserait-il ?), mais c’est un brave petit gars qui accompagne Papa, Maman et la petite sœur partout où ils vont ; il joue essentiellement le rôle de témoin critique, parfois sarcastique, des petits incidents de la vie de famille. Troisième différence : les récits sont plus étoffés (8 à 10 planches), au lieu de se cantonner au gag en deux planches.

De ce fait, Margerin prend le temps de poser une atmosphère, un problème, un type de décor. Le récit-titre (« Le Danger Public ») vise le père de Manu, archétype du petit conducteur frustré rêvant de dépasser tout le monde sur la route, bien qu’il ne possède qu’une voiture poussive, lestée d’une caravane. Les réactions psychologiques y sont assez finement exposées, et surtout proche des réalités vécues (les enfants impatients d’arriver ; le conducteur qui joue à la course avec les autres véhicules sans vouloir se l’avouer ; les saloperies que l’on fait sur la route pour ne pas être dépassé ; la crainte des voitures de flics...).

Les mêmes qualités se retrouvent dans les récits suivants (les aventures familiales quand on passe la soirée à l’Opéra ; partie de chasse au canard avec Papa ; arrivée dans la famille du correspondant américain de Manu (passage où il faut l’identifier à l’aéroport, problèmes relatifs au décalage horaire, à la nourriture), vacances dans un gîte rural très...rural).

La nostalgie des années 1955-1965 fourmille dans les dessins : la voiture familiale est une 403 Peugeot, alourdie de la petite caravane standard d’époque (pas un camping-car à l’horizon...). Papa porte encore la petite moustache, complètement passée de mode aujourd’hui ; petit dèj avec tartines beurrées et café au lait ; faire chabrot dans la soupe ; quand on part en vacances, c’est par les petites routes de campagne (l’hystérie autoroutière, obsession des frustrés du temps perdu, n’a pas encore trop recouvert la France) ; la référence en sport automobile est Gordini, qui connut sa plus grande gloire entre 1945 et 1957 ; les vraies cuisinières à bois-charbon avec rondelles concentriques sur le foyer ; on achète des billets à des tombolas (qui en achète aujourd’hui ?) ; le maquillage de soirée de Madame, empourprée de poudre et étranglée par un collier de perles ras-du-cou, ne renie pas ses années 1950-1960. En revanche, le magnétoscope doit attendre les années 1970-1980 pour être popularisé. Et la planche finale nous restitue le rêve de confort urbain des années 1970-1980.

Manu apparaît donc à peu près convenable, voire supportable dans cet opus. Ses tribulations dans les coulisses de l’Opéra évoquent, en plus timide, celles du Capitaine Haddock dans « Les Sept Boules de Cristal ». Sa petite sœur a bizarrement un petit nez porcin.

L’humour de Margerin est finalement assez ténu, et la satire des caractères et des mœurs domine ; quand on voit combien les scènes du spectacle d’Opéra sont ridicules, combien le père de Manu est borné et mesquin (et son humour à la limite de la débilité), on se dit qu’il était grand temps de jeter un regard nouveau sur la vie à cette époque. Et donc, d’avoir quinze ans, pour commencer.
khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 13 juin 2013

Critique lue 124 fois

1 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 124 fois

1

D'autres avis sur Le danger public - Manu T3

Le danger public - Manu T3
Alligator
4

Critique de Le danger public - Manu T3 par Alligator

mars 2008 Un Margerin bien fade. Retraité, déjà? L'humour est gentillet. Plat. Sans surprise. Le dessin est toujours aussi rond. Mais si j'ai bien compté, il n'y a en tout et pour tout une seule case...

le 9 nov. 2013

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14