Suite directe des Cigares du pharaon, cet album nous emmène dans un univers très différent de l'Egypte, de la péninsule arabique ou de l'Inde puisque Tintin met en effet les pieds en Chine (on est au début des années 30), alors que se nouent différentes intrigues entre Chinois, Occidentaux et Japonais. Avec au centre une affaire de trafic d'opium.


Comme c'était déjà un peu le cas dans l'album précédent, il faut noter qu'Hergé a encore progressé et éliminé certains défauts que je trouvais pour ma part regrettables. Tintin est encore parfois un peu distrait (pour ne pas dire plus), par exemple quand il met Milou dans sa malle sans s'en rendre compte, mais il est dans l'ensemble beaucoup plus futé, ce qui colle un peu mieux à l'image qu'on peut se faire d'un héros même si personnellement j'apprécie les héros ratés. Il reste tout de même quelques éléments peu crédibles, mais à mon avis moins gênants, par exemple quand, avec son physique de gamin, il met une raclée à trois indiens costauds... (mais au moins ce n'est pas par une ruse débile ou peu crédible comme on aurait pu le voir dans un album précédent). La personnalité de Tintin continue donc d'évoluer, dans le bon sens à mon avis, ce qui donne un album plus crédible et davantage réaliste.


Surtout, là où Tintin au Congo, sans doute involontairement, véhiculait une image raciste des Africains, Hergé dénonce au contraire ici, ou à tout le moins met en exergue, le racisme des blancs envers les Chinois, les apports de la « civilisation » occidentale, mais aussi, ce qui est bien vu, le sentiment de supériorité des Japonais par rapport aux Chinois. Là, ce n'est pas Tintin qui fait preuve de racisme, ce n'est pas le héros qui véhicule ce genre d'idées, et ça change tout ! Là où Tintin au Congo était une BD raciste, peut-être involontairement, mais pour moi ça ne change rien, Hergé formule au contraire dans Le lotus bleu une dénonciation du racisme : il nous décrit les clichés de certains Chinois qui croient les blancs cruels depuis les massacres de la guerre des Boxers, mais aussi les sentiments de certains Occidentaux qui considèrent que les Chinois sont fourbes et cruels, sans parler des Japonais qui en prennent aussi pour leur grade. Au total, on a là une présentation équilibrée sur cette question des stéréotypes attribués par certains peuples à d'autres, même si Hergé prend nettement parti, sur la question sino-japonaise de cette époque, en faveur des Chinois soumis à la brutale occupation japonaise. Il nous montre bien en effet l'idéologie du Japon nationaliste qui se veut « gardien de l'Ordre et de la Civilisation en Extrême-Orient ». Pour tous ces éléments, il a été fortement influencé par son ami chinois, Tchang Tchong-jen, qu'il avait rencontré en 1934.


A noter que l'album s'inscrit précisément durant l'année 1931, évoquant l'inondation du Yang Tsé Kiang (qui a provoqué tout de même 130 000 morts) et l'incident de Mandchourie dont il attribue la responsabilité aux Japonais, ce que les historiens semblent aujourd'hui confirmer.


Ceci étant dit, si Hergé dénonce le colonialisme et notamment l'attitude des Japonais en Chine, cet album reste d'abord une aventure, où interviennent les Dupondt, toujours aussi rigolos, et où Tintin a une nouvelle fois affaire à une société secrète (je ne vous en dis pas plus).


A noter aussi des clins d'œil aux albums précédents, Milou ligoté, risquant ici être décapité par un fou, alors qu'il avait par exemple dans l'album précédent failli être exécuté par un hindouiste.


Bref, un album agréable et fort joliment illustré, bien mieux que les précédents, un des meilleurs de la série d'après moi, même si ce n'est assurément pas le plus drôle.

socrate
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le 11 janv. 2012

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socrate

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