Le Montespan
6.1
Le Montespan

BD franco-belge de Jean Teulé et Philippe Bertrand (2010)

J'aime particulièrement l'Histoire quand elle exhibe ses coulisses. Quand elle met sous la lumière des figurants se voyant offrir fugitivement les premiers rôles. C'est dire ma curiosité et mon enthousiasme, lorsqu'en historiographes théâtreux, les auteurs exhument des archives une marionnette poussiéreuse boudée par les manuels scolaires. Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan et, accessoirement, époux de la célèbre marquise du même nom. Un amoureux transi, bafoué, cocufié par Louis XIV selon un royal droit de cuissage entendu, et qui contestera inlassablement ce décorum héliocentrique. Téméraire et farfelu, il défiera le pouvoir absolu tout au long de sa vie en « asticotant » ce souverain abusif, n'ayant de cesse qu'il lui restitue sa femme chérie.

J'espérais, j'imaginais un récit captivant et ardent, une chouannerie libertine et drolatique. La perspective d'un spectacle alléchant dans le stip-tease d'une Renaissance matée par le petit côté de la lorgnette. Prout ! Je me suis fourvoyé. Je n'ai pas lu le roman éponyme. Néanmoins, j'ai flairé dès les premières mesures que la bande dessinée pêcherait par esprit de fidélité, s'entêtant à investir tout le bon de l'œuvre prime dans un one-shot où il n'y aurait jamais la place. Une adaptation ? Plutôt une (run) essence illustrée. La sensation de voir les meilleures pages du livre arrachées puis mises en image et en cases, loyalement, bout à bout. Cet assemblage de saynètes, d'anecdotes historiques disparates, façonne une narration à l'emporte-pièce qui use, abuse de l'ellipse (à en perturber quelquefois la compréhension) et accouche d'un rythme heurté, précipité et claudicant.

Pas assez de temps pour s'attacher. Pas assez de temps pour éprouver la passion dévorante de ces jeunes mariés (si ce n'est par la démonstration de quelques scènes de cul dissonantes). Pas assez de temps pour concevoir, pour partager la détresse et la mélancolie d'un époux persiflé. Pas assez de temps... Juste une impression de survol, de désinvolture. Ce n'est pas que cela sonne faux, ça ne sonne pas, tout simplement. Bien sûr, on ne peut pas renier les sourires, les rires provoqués par quelques parlottes flamboyantes, par les initiatives inspirées du marquis pour emmerder le roi, par la description des mœurs de l'époque, mais cette truculence taquine trop souvent la vulgarité. L'ambiance à peine esquissée renvoie l'image d'une mini chronique sociale s'échinant à démontrer que les aristos n'étaient que de gros crades concourant à qui sera le plus dégueulasse ; et l'on s'interroge sur la rigueur historique. Passons. Ce qui émerge en définitive n'est qu'une impression désolante de raillerie. Le Montespan m'apparait trop souvent ridicule ou maladroit quand j'aurais envie d'admirer son panache, creux et insipide alors que je vouerais tant de compassion à ce cocu magnifique. Peu d'émotion, pas d'empathie, si ce n'est une piètre pitié. Une mauvaise farce rabelaisienne qui parvient même à trivialiser certains instants de sa vie encore plus terribles. Merde ! Ce pauvre homme, dont on a ravi la douce moitié et que son fils méprise, finira par perdre sa fillette, morte de chagrin... et l'on s'en fout.

Le dessin tire dans le même sens en appuyant là où ça fait déjà mal. D'un point de vue esthétique et intrinsèque, je le trouve plaisant. Simple, précis et fin, il dégage même un délicieux effet contemporain anachronique. Malheureusement, son aspect jeté insuffle un dynamisme supplémentaire qui accentue le côté haché et « ça va trop vite ! » induit par les ellipses. La colorisation lui confère un aspect soft, discret (comme s'il désirait s'effacer devant l'histoire) et lisse des émotions déjà ultra tamisées par le tempo trop condensé de la narration.

Parti pris narratif ? Grosse gamelle (surement remplie de bonnes intentions) ? Ou est-ce juste moi qui ne sais pas lire entre les cases ? En tout cas, je n'ai jamais accroché. Je garderai un peu de sympathie pour des images fugaces (les valets de pisse), pour les invitations caustiques nées de rares situations ou répliques - « Françoise ! Reviens ou j'enc... la vieille ! » -, du respect pour la bataille stérile de l'infortuné cornard et quelque appétit devant les charmes affriandants de La Montespan (Sa Majesté Soleil paraît bien pâle devant une si jolie lune). Le reste, j'oublierai.
Sejy
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le 18 août 2011

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Sejy

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