Délire raté dans la Terre du Milieu

Dans mes modestes et vaines petites aventures, j’ai un peu tâté du jeu de rôle avec des vrais gens. Malheureusement ma grande timidité à l’époque, et probablement d’autres raisons, m’ont fait abandonner l’expérience après quelques soirées. Je garde néanmoins pour le genre une certaine affection, et même une grande admiration pour ceux qui le pratiquent et font vivre leurs imaginations au contact de celles d’autres personnes.

Mais quand je lis certaines productions dessinées qui mettent en valeur les rôlistes, je grince des dents trop souvent. Dork Tower a droit à ma sympathie, je l’avoue, mais Noobz ! ou Les Fuzztoons, outch, quel mauvais lancer de dés.

La quatrième de couverture est écrite par l’auteur, Patrick Frisch, qui annonce la couleur. Les Fuzztoons est une BD amateure publiée sur internet (c’est dit dans les remerciements) en 2000 quand l’auteur était encore à l’école des Beaux Arts. Elle est inspirée de parties de jeux de rôles avec ses amis.

Et le texte se termine par un smiley. Qui ose mettre un smiley à la fin d’une quatrième de couverture ?

Patrick Frisch ose. Quel iconoclaste !

Les Fuzztoons sont une bande d’aventuriers, une équipe de bras cassés avant tout obsédés par l’expérience acquise pour monter de niveau et par du butin qui brille. On y trouve ainsi un barde qui chante des chansons débiles, un homme mouche, une magicienne peu efficace, ou un fumeur de marijuana. Ils sont mandatés par Gandalf pour aller combattre Sauron, puisque cela ne sert à rien de faire sembler de ne pas être dans le même univers crée par Tolkien.

Je doute que Patrick Frisch ait payé quelques droits dessus.

Cette quête est de toute façon un prétexte, elle ne trouvera pas de conclusion dans cet album, qui restera le seul édité. Les pages constituent un enchaînement de péripéties et de tentatives d’humour, dans un rythme soutenu. Elles donnent l’impression d’être écrites au fur et à mesure, sans véritable plan d’ensemble. Les personnages sont présents, sans véritable contexte et tentatives de les développer. Des pantins aux personnalités assez évidentes dans les mains de l’auteur qui s’amuse avec ses créations, au risque de ne rire que pour lui-même.

Cette effervescence de gags rappelle les films des ZAZ, sans le même talent. Bien sur, quelques tentatives fonctionnent, la démesure de la bêtise utilisée peut faire sourire. La caricature de certains codes du jeu de rôle peut amuser, même si ce n’est que rarement fait avec subtilité. Les plaisanteries sur l’homosexualité des elfes sont peut-être un classique des plaisanteries de rôlistes, elles sont ici appuyées et répétées avec une magistrale lourdeur.

Patrick Frisch n’hésite pas à casser le quatrième mur, se rappelant au bon souvenir du lecteur, s’imaginant que cela aurait pu créer de bonnes blagues, à moins que cela ne soit pour valider un certain égo. Au milieu d’un affrontement, une case vient casser l’excitation en proposant un autre plan, avec ce texte « que ça te plaise ou non cher lecteur, c’est ma BD et je fais ce que je veux ». Des clins d’oeil sont réservés à ses amis. Les Fuzztoons est un délire personnel, qui a pu en faire rire certains (imaginons), mais qui a surtout dû faire rire son auteur, tout à son aise dans ses blagues personnelles et loufoques.

C’est d’ailleurs assez mal dessiné, avec ses immondes colorisations sur ordinateur criardes de ces années. C’est bien évidemment amateur, mais quand on arrive à glisser dans « sa » quatrième de couverture qu’on a fait une école des Beaux Arts, autant le prouver.

Dans mon (antique) critique sur Noobz ! (publiée chez le même éditeur, Kantik, petite maison aujourd’hui disparue, tiens tiens) j’avais ces mots assez durs sur les mauvais blogs BD édités en album : « Et il y en a d'autres, qui auraient du rester sur le Net, et ne pas avoir eu l'affront d'aspirer à une édition physique. » C’est pas très gentil, mais j’aurais envie de ranger Les Fuzztoons dans cette liste.