Les mystères d'un monde inhospitalier
Comme l’action se situe intégralement dans « L’Autre Monde », les auteurs déploient un soin et une imagination supérieurs à ce qui prévalait dans les tomes précédents. L’ « Autre Monde » n’étant visiblement bridé par aucun contrainte physique quelconque (contrairement à la règle des récits magiques où les sorts et les monstres présentent le plus souvent leurs propres limites, faiblesses, ou exceptions), le récit et les dessins s’en donnent à cœur joie pour capter l’attention, les regards, et susciter des émotions puissantes.
Le récit perturbe les repères acquis lors des tomes précédents : les héros eux-mêmes semblent (provisoirement) saisis de folie meurtrière, et l’un d’entre eux est déclaré mort. Cet au-delà enfantin a donc quelques affinités avec le monde adulte, que l’on simule sans adoucir l’atmosphère tragique qui s’y développe. A partir de la planche 24, d’autres personnages, fort mal identifiés, entrent en scène sans que l’on comprenne bien leurs motivations et leurs projets. Cette nouvelle couche de l’intrigue apparaît, dans ce tome, complètement indépendante de l’action des héros, ce qui ne manque pas d’intriguer. L’épreuve de la traversée d’une forêt d’énormes pissenlits agressifs (planches 30 à 39) est une trouvaille intéressante.
Le soin apporté aux dessins était indispensable pour susciter l’adhésion, voire l’émerveillement vis-à-vis d’un monde aux règles très exotiques ; la classique vignette de mise en contexte (la première de l’album, donc) joue sur un superbe dégradé de lumière orangée sur un paysage de canyon avec arche rocheuse et aiguilles tranchantes aux pentes insolites. Planche 24, très jolie salle souterraine avec bassin rond et canaux. Planche 28, un décor de massifs rocheux flottant sans aucun égard à la gravité, un peu comme dans « Avatar », mais enrichi de constructions de styles fort divers mêlant les mégalomanies de gratte-ciel sévères style 1920-1930, et les tours crènelées bien médiévales. Planche 44, une belle salle d’initiation, aux piliers à section savamment chantournée en courbes et contre-courbes, bénéficie également du savoir-faire de l’artiste en matière de halos lumineux.
Beaucoup de mystères et d’angoisse, donc, de mieux en mieux mis en images.