Depuis au moins un siècle, le positivisme historique, qui stipulait que l'exposition des faits suffisait à l'écriture de l'histoire, a volé en éclats grâce à des auteurs comme Bainville dont l'histoire de France montre que toute écriture de l'histoire est une réécriture de celle-ci, et que l'on continuera à interpréter la révolution française pendant encore des siècles.


C'est donc une vision de l'histoire que nous avons là. Et parmi ceux qui proposent des visions de l'histoire, il y a les simples "compilateurs", souvent dépassés par la somme des faits à intégrer, à exposer, et qui s'essayent encore à une pseudo-neutralité qui appauvrit leur travail. D'un autre côté, il y a les grands, Bernard Lewis, Maxime Rodinson, Michel Pastoureau, Howard Zinn, Edward Saïd ou Eric Hobsbawm. Ceux-là ont deux qualités: la première est leur érudition, la seconde la capacité, ainsi que l'audace, de proposer une nouvelle interprétation, de produire d'autres causes, d'analyser différemment les conséquences. En résumé, d'avoir une thèse, que l'on soit d'accord avec celle-ci ou pas.


Bien entendu, ceux qui se prêtent à l'exercice de l'écriture ne sont pas dans un panier ou dans l'autre. Justement, Filiu est entre les deux, même si clairement du côté des érudits. S'il a une très bonne connaissance de son sujet, ce dernier est peut-être trop étudié pour que l'on ait quelque chose de véritablement novateur, et il faut avouer que la BD se prête difficilement à un rôle autre que celui de la vulgarisation de l'histoire. Toutefois, certaines fulgurances, dont notamment le parallèle avec l'épopée de Gilgamesh en début d’œuvre ou les détails rapportés sur l'accord du Quincy, démontrent à la fois le courage de Filiu dans ses prises de position, sa vision d'ensemble et sa culture.


Le dessin de David B., que je découvre, est d'une intelligence fine. Le style de David B. ne brille pas par son esthétisme, mais par sa fonctionnalité. Le dessin est systématiquement mis au service du fond grâce à des trouvailles graphiques et narratives dont le seul dommage serait qu'elles fonctionnent tellement bien qu'elles en deviennent parfois un peu trop pédagogiques. Insistant parfois sur des détails, d'autres sur des visages ou encore sur des vues d'ensemble, David B. schématise sans caricaturer. La période Gilgamesh où il a pu laisser aller son imagination dans le dessin de Humbaba, est la plus poignante.


Certes, comme n'importe quelle œuvre de ce type, on aurait aimé trois tomes pour chaque chapitre pour saisir et comprendre tous les enjeux, pour que les auteurs aient le temps de construire leurs personnages qui restent ici, grâce au talent de Filiu et de David B., très bien présentés. Cette BD est néanmoins une petite perle; pour comprendre l'histoire des relations entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient, il faudra bien entendu ouvrir des pavés conséquents et arides, mais par défintition, une BD historique n'a pas vocation à remplacer les livres qui ont constitué la source des auteurs. Cette BD vulgarise avec talent (j'ai appris quelques détails sur les événements que je connaissais, j'ai eu envie d'approfondir les autres), mais elle m'a surtout donné envie de lire la seconde partie, les livres de Filiu que je ne connaissais qu'à la télé et l’œuvre de David B. Enfin, pour comprendre la référence du titre, il faudra lire la BD.

Kujp_Xodl
9
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le 1 juin 2016

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Kujp_Xodl

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