Ce roman noir vaut par l'enchaînement quelque peu tragique des événements (assez solidement construit mais modérément crédible sur le fond), et pour la mise en images de Manara, qui use de sa plus élégante ligne claire en noir et blanc.

Côté récit, six planches d'ouverture posent le problème : une fille de dix-huit ans, Pandora, sort définitivement de chez le psychiatre après des séances destinées à calmer ses accès de furie aveugle et destructrice. Son père vit sur un fauteuil roulant.

A partir de la page 7 jusqu'à la page 33, c'est une histoire d'enlèvement assez classique : la fille est kidnappée et emmenée en Turquie où, paraît-il, son vrai père (un tueur) veut la voir. Les pages 38 à 40 révèlent le drame majeur, qui empreint cette histoire de son aspect tragique. Et les 22 pages qui restent constituent un jeu mouvementé entre la fille, son vrai père, et les personnes qui l'ont enlevée.

Bon, le scénario est un peu tordu. C'est du bon polar, qui met l'accent sur les passions meurtrières du père de Pandora, et de sa fille. Ce qui modère la crédibilité de cette histoire, c'est la cruauté de Castex (le père biologique de Pandora), qui inflige à ses victimes des tortures raffinées (dont une en rapport avec les yeux (on parle assez souvent d'yeux, dans cette histoire : ceux qui deviennent diaboliques, ceux qu'on veut crever, ceux que l'on a... pages 26-27, page 43)).

Peu probable qu'un tueur aussi abject, visiblement connu à Ankara dans le quartier louche qu'il habite (pages 25 et 26), ne se soit ni fait piéger, ni fait descendre par la police depuis longtemps. Dans la foulée, le stratagème mis en place par le policier d'Interpol apparaît artificiel.

Telle la Pandora grecque, celle-ci apporte dans son sillage les pires ennuis et les catastrophes, et ses yeux pourraient bien exprimer la furie d'une malédiction divine, conforme à celle qui inspire son précurseur mythologique.

Mais, évidemment, on est dans un Paris bien réel, une Turquie bien réelle, d'aujourd'hui ou presque. Donc, pas question de convoquer Zeus pour expliquer ces passions meurtrières. Alors on invoque les puissances de l'ADN (page 45), argument peu crédible vu la manière dont il fonctionne. Mais il faut bien attribuer la fatalité à une instance, sinon la tragédie fout le camp...

Deux ou trois touches d'humour ne suffisent pas à alléger le climat d'ensemble : page 10, un copain de Pandora qui a une manière assez spéciale de se valoriser auprès des filles; pages 34 à 37, un policier turc qui éprouve quelques problèmes vestimentaires...

Le réalisme élégant des dessins de Manara touche à la perfection; on jurerait que tous les visages ont été croqués d'après nature. Bien entendu, il s'attarde autant que possible sur Pandora, qu'il revêt essentiellement d'une mini-robe aux allures de nuisette flottante (prétexte : Pandora se fait enlever au sortir d'une soirée); il ne rate pas un soulèvement de ce vêtement, pour suggérer sans insister le détail d'un petit cul mince, parfois culotté, parfois non. Manara est à son affaire quand Pandora se promène, le cul à l'air ou à peu près, dans les rues musulmanes d'Ankara : on enchaîne les tentatives de viol, les regards ironiques ou scandalisés des passants (j'aime bien les deux filles voilées de la page 37).

La représentation du regard diabolique de Pandora et de son père lorsqu'ils sont pris de leur crise de folie meurtrière ne peut que faire frémir (pages 8, 40, 51). Les flash-backs prennent le parti d'éliminer le détail des décors (ce qui arrange Manara...) pour les remplacer par un fin réseau de traits entrecroisés, façon grillage.

Et l'on comprend que Manara ait apprécié de mettre en images une fille qui porte le même prénom que celui d'un personnage de son idole, Hugo Pratt.
khorsabad
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le 19 avr. 2013

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