Loup
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Loup

BD (divers) de Marc Moreno, Éric Moreno, Amélie Sarn et Moreno (2007)

L'intérêt considérable des dessins d'Eric et Marc Moreno soutient seul ce long, trop long roman graphique (270 pages) qui tourne (?) autour d'une seule idée : la violence que nous subissons et que nous exerçons en retour dans ce monde abject nous transforme en loups et ne peut que propager la violence.


Découpé en chapitres dont le titre correspond au prénom du personnage qui dit "je" et qui expose son point de vue personnel dans ledit chapitre, ce roman raconte l'histoire d'un certain Louis, artiste, qui se transforme en loup à mesure que sa personnalité évolue vers la folie carnassière. Avec toute l'ambiguïté d'un Hobbes dans "Calvin et Hobbes", ce personnage est parfois présenté avec une tête de loup quand il subit un accès de violence sauvage, sans qu'il soit clairement dit que Louis est le seul à se percevoir lui-même comme un loup; et pourtant, cela semble bien être le cas.


La violence mutagène subie par Louis, c'est que, avec sa soeur, il a échappé de peu à un attentat terroriste dans le métro. De quoi traumatiser, en effet; dès lors, il se perçoit épisodiquement comme loup (y compris dans un miroir), et se livre à plusieurs violences incontrôlables. Ses dessins et peintures, de style assez conventionnel jusque là, se peuplent de ces caricatures hallucinatoires et tourmentées que l'on a mises en évidence, par exemple, chez les consommateurs de certaines drogues. Les loups y interviennent, bien sûr, avec une prédilection pour Anubis, "celui qui peut donner la mort".


Evidemment, son entourage (sa soeur, son ami artiste) est inquiet, et leurs réactions de bon sens constituent le meilleur atout de ce récit, aux dialogues généralement réalistes. Le pire, c'est quand Louis tombe sur Seselj, un ancien des conflits de l'ex-Yougoslavie, qui a subi et infligé lui-même pas mal d'atrocités, et en qui il voit un autre loup, qui se fait son mauvais ange, en le persuadant d'assumer son état de loup.


Sur cette trame, il y a deux cent cinquante pages, au rythme assez lent, de prise de tête et de théorisation adolescente sur la violence qui nous transforme en loup. Ce martèlement moral est lassant, sape l'attention, ne débouche sur rien de précis (la fin n'est même pas claire), et tourne à la monomanie, presque au bourrage de crâne de propagande.


Quant à l'écriture, un de ses intérêts est de présenter (surtout vers la fin) les mêmes événements sous des points de vue différents (nous sommes riches de nos différences, pas vrai ? Surtout quand elles nous poussent à nous entrégorger...).


Le dessin des frères Moreno donne un peu d'agrément à ce pensum obsessionnel. De style réaliste fort bien étudié, soignant les gradients d'éclairage de manière convaincante sans tomber dans la maniaquerie, original dans son choix chromatique (noir-blanc- gris rougeâtre suggérant le côté sanguinolent explicite ou latent), il dissémine tout au long de l'album de très nombreux paysages et édifices de la ville de Bordeaux, dans laquelle l'action est fermement insérée.


Ces réflexions désabusées et déprimantes de gens traumatisés et fatalistes ne sont pas l'idéal pour remonter le moral du lecteur. Ajoutons que la naïveté assez plate de la métaphore ("L'homme est un loup pour l'homme", donc on voit des hommes à tête de loup...), jamais complexifiée, toujours ressassée, donne envie de penser à autre chose. Comme l'action n'avance pas, ou si peu, on s'ennuie, et nous donner 250 pages de mélancolie parfois rageuse sur la régression des valeurs sociales et morales à laquelle conduit la violence, c'est nous infliger un sermon, sans aucune porte de sortie identifiable.

khorsabad
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le 28 juil. 2015

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