Visions inédites

C’est bête à dire, mais la première chose à laquelle je pense lorsque l’on me parle de Lex Luthor, c’est à Michael Rosenbaum que je pense. L’acteur ayant joué le célèbre méchant dans la série Smallville. Bien entendu, c’est un méchant emblématique et charismatique de Superman, mais depuis les New52, puis Rebirth, on ne peut pas dire qu’il ait vraiment été à la fête. Du moins je ne retrouve pas le Luthor, qui glace rien que par sa présence, de la période antérieure. J’avais donc hâte de lire un récit lui étant consacré. Je me suis donc lancé dans Luthor de Brian Azzarello et Lee Bermejo.

Et si Lex Luthor avait raison ? Et si cette créature appelée Superman, descendue du ciel pour nous protéger, pauvres humains que nous sommes, n’avait d’autre intention que de nous asservir ? Luthor sera alors celui vers qui les Hommes pourront se tourner sans crainte. Il est le dernier rempart contre l’invasion qui se prépare bel et bien.
Luthor, ou l’introspection de l’homme le plus intelligent de la planète, est le récit complet réalisé par le tandem Brian Azzarello (100 Bullets)/Lee Bermejo (Batman Noël, Suiciders), déjà réunis sur Joker. Les deux auteurs y développent une version inédite du plus célèbre ennemi de Superman, en mettant au premier plan les tourments et les questionnements de l’homme, et non plus l’insatiable quête de pouvoir du magnat de Metropolis.
(Contient les épisodes #1 à 5)

Forcément, avec un artiste tel que Lee Bermejo au dessin, difficile de ne pas commencer par la partie graphique de Luthor. Lee Bermejo c’est un style assez unique et atypique. On aime ou on n’aime pas, mais c’est le genre d’artiste avec lequel il n’y a pas de juste milieu. C’est tout l’un ou tout l’autre.

Personnellement, j’aime assez l’approche de cet artiste. C’est très sombre, mais pas trop, des visages très expressifs, avec de grands yeux, mais assez immobiles. D’ailleurs ses dessins sont assez immobiles, mais emprunt d’une incroyable puissance ! Il se dégage quelque chose de merveilleux et de fort de ses personnages. J’aime bien c’est toujours plaisant de retrouver cet artiste, mais de façon surprenante, sur des mini-séries comme Luthor ou Joker.

Sur ce titre, plus particulièrement, la seule différence avec ces généralités, c’est que je trouve que son style immobile ne fonctionne pas avec un récit « lent » comme Luthor. Je termine avec la couverture, absolument incroyable, de ce tome, on dirait une photo !

Superman est un super-héros, un héros, adulé de la foule. Un homme tellement puissant, tellement incroyable, tellement idéal que la comparaison avec l’image que nous avons des dieux est plus que logique, et facile. Bien entendu, personne sur Terre n’est capable de rassembler uniformément et totalement. Pour Luthor, Superman n’est pas un homme, ce n’est qu’un extraterrestre ! Superman n’est pas héros, ce n’est qu’un éclaireur pour une invasion future !

C’est à lui, Luthor, d’être celui qui va faire redescendre Superman de son piédestal ! C’est à lui de montrer au monde le véritable visage de cet envahisseur ! C’est à lui de proposer une autre alternative au monde.

On pourrait donc penser, que le but de Luthor, dans le sens où il est persuadé de ce qu’il dit de Superman, est un but plus que noble. Mais il n’en est rien !

A travers ses pensées, nombreuses, et surtout la création, assez fade, de Hope, que cette crainte n’est que de la jalousie ! Lex Luthor est fâché que la masse populaire ne se tourne vers un Superman capable du pire comme du meilleur (un image assez saisissante de Superman nous est proposée dans ce récit) pour être leur sauveur en lieu et place de lui-même.

Si on ne peut penser que Superman est un ennemi, force est de constater que, dans ce récit, le Kryptonien est bien loin de l’image que l’on peut avoir de lui. Il glace le sang à chacune de ses apparitions. On en viendrait presque à penser que Luthor a raison. Mais, plus on plonge dans les pensées de Lex Luthor, plus on réalise que Brian Azzarello ne nous propose pas un récit sur un super-vilain, mais sur un utopiste, sur un génie sans limite qui voit, seul, que le monde va droit à sa perte.

Ce qui est génial, et unique, avec Lex Luthor c’est qu’il a SA visions des choses. Et avec ce récit, Brian Azzarello pousse ce point au paroxysme. On suit un personnage qui vit dans sa bulle, capable du meilleur (comme avec son employé au début), comme du pire (avec les actes de son homme de main), mais toujours dans l’optique de faire ce en quoi il croit.

On s’y perd un peu par moment, il n’est pas toujours évident de suivre les génies, et Luthor ne manque pas à l’appel. Néanmoins, l’histoire de Brian Azzarello est suffisamment intéressante et intelligente pour que l’on s’accroche et que l’on suive les délires de ce Luthor nous rappelant fortement un Ozymandias dans Watchmen.

Bref, une surprenante intrigue, une écriture intelligente, de très beaux dessins, des visions différents de nos personnages, pour une très agréable lecture.