Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2019, écrits par Kieron Gillen, dessinés, encrés, peints par Stéphanie Hans. Elle a également réalisé les couvertures de chaque épisode. le tome se termine avec les couvertures alternatives de Jamie McKelvie, Emma Vieceli, Stéphanie Hans (*4), Mike Rooth (*2), Jana Schirmer, Jan Bartel, Christian Ward et David Mack, 3 pages d'étude graphique de personnages, 8 pages de texte en petits caractères sur 3 colonnes parus en fin de chaque épisode et écrits par Gillen, un texte d'une page écrit par Hans, et des recommandations de lecture.


1991 : Dominic, un adolescent, emmène sa soeur Angela chez son copain Solomon pour faire une partie de jeu de rôle. Sa mère les accueille à bras ouvert et ils montent dans la chambre de Dominic. Celui-ci les attend avec déjà les trois autres copains de présent : Isabelle, Chuck et Matthew. Solomon leur indique qu'il a récupéré un jeu de rôle exceptionnel : adulte, intelligent, une pépite. Il sort un coffret qui contient 6 dés. Dominic récupère le dé à quatre faces, et décide d'être un diplomate de combat, prenant le nom de Dictator. Pour Matthew, c'est le dé à 8 faces et le nom de Grief Knight, pour Angela le dé à 10 faces et Neo, pour Isabelle le dé à 12 faces et Godbinder, pour Chuck le dé à 6 faces et Fool. Enfin, Solomon indique qu'il s'attribue le dé à 20 faces et qu'il est bien sûr Master, le maître du jeu. Ils sont prêts à jouer, à lancer le dé, Solomon ayant rappelé le singulier de ce mot en anglais à Angela. Deux heures plus tard, la mère de Solomon monte dans sa chambre avec des boissons sur un plateau, et elle découvre que la chambre est vide. Deux ans plus tard, une femme arrête sa voiture sur la route de nuit, un groupe d'adolescents lui ayant fait signe de s'arrêter en se mettant au milieu de la route. Il s'agit de Dominic, Matthew, Angela, Isabelle et Chuck. Solomon n'est pas avec eux, et Angela a perdu une partie de son bras droit.


Vingt-cinq ans plus tard, Sophie souhaite un bon anniversaire à son mari Dominic, en toute simplicité, lui confirmant qu'elle n'a organisé aucun repas, n'a lancé aucune invitation, comme il préfère. Comme d'habitude, la mère de Solomon vient toquer à la porte pour savoir s'il se souvient de quelque chose qui pourrait permettre de retrouver son fils disparu. Comme d'habitude, il est totalement incapable d'en parler, et Sophie prie la mère de repartir. Un peu plus tard, il va prendre un verre de vin au bar, en compagnie d'Angela. Cette dernière a quitté Rupert au profit de Susan. Celle-ci a fini par quitter Angela, et la procédure de divorce d'avec Rupert n'est pas belle à voir. le barman remet un paquet emballé à Dominic : il l'a trouvé en ouvrant son bar, et n'a aucune idée de qui l'a laissé. Dominic l'ouvre et découvre un dé à 20 faces ensanglanté dans une belle boîte capitonnée. Quelque temps plus tard, les cinq survivants se retrouvent dans la belle demeure de Chuck, et ils découvrent qu'ils peuvent enfin évoquer ce qui s'est passé il y a 28 ans. Dominic leur montre le dé à 20 faces.


Le lecteur prend le tome entre ses mains, et il constate tout de suite le soin apporté à sa conception : l'apparence générale a été conçu par Rian Hughes, un designer, ce qui apporte une impression générale de produit réfléchi dans sa globalité. En quelques pages, le principe de la série est posé : ils étaient 6 à faire une partie de jeu de rôle et ils se sont retrouvés aspirés dans l'univers en question. Il n'en est revenu que 5. Alors qu'ils sont tous quadragénaires, ils sont à nouveau projetés dans ce monde, où celui qui n'en était pas revenu a disposé de tout le temps nécessaire pour leur préparer une réception. Dans les pages de texte, le scénariste évoque sa jeunesse de rôliste, la manière de construire des personnages à partir de l'emploi habituel d'un dé en fonction de son nombre de faces, le temps raisonnable à consacrer pour construire un monde imaginaire (et la raison pour laquelle il y a passé beaucoup plus de temps), la sensation de communauté qui s'installe entre joueurs, les règles du jeu ou la mécanique du jeu, et la dessinatrice évoque la manière de donner à voir, de donner corps à un monde imaginaire.


Après tout, la Fantasy est un genre littéraire comme les autres, avec ses propres conventions de genre. C'est juste que parfois ce genre peut sembler limité, peut-être plus limité que d'autres genres. D'un autre côté, Kieron Gillen indique qu'il n'a pas fait les choses à moitié, qu'il a développé son histoire comme un passionné, c'est-à-dire sans compter ses efforts, parfois pour des détails éphémères, en n'hésitant pas à nourrir son récit par des recherches supplémentaires. Toutefois, cette histoire se lit avant tout comme une aventure : 5 adultes se retrouvent dans un monde imaginaire qu'ils ont fréquenté étant adolescents, et ils doivent en sortir. L'intrigue suit le schéma classique de passer d'un environnement à un autre en surmontant une épreuve, pour atteindre le boss de fin. Chaque séquence se déroule dans un endroit typique du genre : la chambre où les copains jouent, la zone désertique où le dragon a toute la place pour évoluer majestueusement, la cité fantastique avec son palais, son bar et ses temples. Dans le même temps, plusieurs éléments inhabituels s'y intègrent parfaitement sans sembler incongrus : de vrais adultes ayant dépassé la trentaine, des tranchées, la bonne parole lue en chaire. Cela apporte l'originalité nécessaire pour élever l'histoire au-dessus de la simple enfilade de clichés.


Dès la première page, c'est magnifique. L'artiste réalise ses planches à l'infographie, avec une approche similaire à de la couleur directe, c'est-à-dire une impression de page peinte, avec presque pas de trait de contour encré. Les 3 pages d'étude graphique en fin de volume permettent de se faire une vague idée du temps passé par Hans pour concevoir et définir l'apparence de chaque personnage. Mais il suffit de lire quelques pages dans le monde de Die pour se rendre compte que l'artiste parvient à asservir les conventions visuelles de types de personnages (voleur, magicien, aventurier, guerrier, etc.) pour en donner une interprétation originale et unique, et les mettre au service des personnages conçus par le scénariste. Elle ne révolutionne pas les archétypes du genre, mais elle y apporte sa touche personnelle, elle leur insuffle une unicité remarquable. Elle joue avec les modes de représentation, les cases fluctuant entre la description précise, et un rendu impressionniste, à des degrés divers, en fonction de la nature de la scène. Elle procède de la même manière pour les décors. Comme elle réalise toute la partie visuelle à elle seule, elle ne pense pas les images en termes d'éléments représentés, et de fond de case à remplir par un camaïeu. Elle les conçoit comme un tout, gérant la mise en couleur en cohérence entre les individus, les éléments de décor, la manifestation des pouvoirs et l'ambiance émotionnelle.


Du coup, le lecteur se retrouve pleinement immergé dans chaque scène, admirant un personnage, détaillant un décor, ressentant l'impression ou l'émotion qui se dégage d'un moment d'une séquence. Il absorbe des images mémorables : le coffret renfermant les 6 dés, le visage âgé de Dominic à travers une vitre avec quelques reflets, la couleur orangée émanant des tourbillons de sable portés par le vent dans le désert, l'attaque du dragon, la noirceur des tranchées, la fournaise qui embrase la ville, etc. La narration visuelle n'est pas constituée d'une suite de scènes spectaculaires, mais se perçoit comme un flux aux couleurs changeantes, comme un environnement changeant auquel les personnages s'adaptent, créant une sensation d'immersion qui englobe le lecteur, et l'emporte avec lui. Cela coule de source, et il ne songe pas à se demander comment ça marche, à discutailler sur le mécanisme qui fait que les protagonistes se retrouvent projetés dans ce monde imaginaire, parce que visuellement c'est une évidence que ces événements surviennent. L'artiste ne cherche pas à en mettre plein la vue, ou à réaliser des planches subjuguant les sens du lecteur par leur esthétisme, elle est avant tout là pour raconter.


Kieron Gillen déroule donc son intrigue basique d'épreuves à franchir pour atteindre le méchant, pour pouvoir regagner le monde moderne. L'intrigue est nourrie par le fait que les personnages ne sont ni des adolescents, ni des jeunes adultes, qu'ils ont tous une histoire personnelle, et qu'ils ont traversé une épreuve ensemble. Progressivement, ils sont amenés à évoquer de manière organique une bribe de leur passé, un souhait, une envie, développant ainsi leur motivation et leur caractère. Dans la mesure où ils s'expriment comme des adultes, certaines conventions du genre Fantasy sont explicitées, soit pointées du doigt, soit identifiées comme étant une métaphore. Il peut aussi bien s'agir d'une situation (la transposition très parlante d'une guerre de tranchées), que d'un processus littéraire (les pouvoirs étant l'expression ou le reflet d'une facette de la personnalité, d'une stratégie comportementale). En fonction de l'épisode, le lecteur peut aussi bien relever une référence à JRR Tolkien, qu'un jeu de mot révélateur (Die étant aussi bien le verbe Mourir, que le singulier de dés en anglais), ou encore un comportement psychologique très prégnant chez un individu, une forme discrète de briser le quatrième mur (un personnage indiquant que si le lecteur cherche des réponses simples, il n'est pas en train de lire la bonne histoire). le scénariste ne passe jamais en mode démonstratif ou magistral, tout coulant naturellement, comme un auteur ayant pratiqué les jeux de rôles, ayant réfléchi à leur fonction sociale et psychologique, et le restituant tout naturellement dans le flux du récit, au travers de ses personnages, de leurs relations interpersonnelles, et des situations.


Il ne faut pas longtemps au lecteur pour se rendre compte de la puissance d'immersion de ce récit. Il lit une histoire de Fantasy fonctionnant en mode aventure, s'enfonçant sans s'en rendre compte dans un monde visuel très enveloppant par sa consistance, sa cohérence et sa richesse discrète. Il fait corps avec l'objectif des personnages (sortir de ce monde = finir sa lecture), tout en éprouvant de l'empathie pour eux, leurs hésitations, leurs traumatismes plus ou moins importants, plus ou moins acceptés et dépassés. Une bande dessinée riche et prenante.

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le 15 mars 2021

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