Frères de sang

Naruto est terminé, bel et bien fini. C'était la "dernière séance" pour reprendre M Eddy. Pas de suite au prochain épisode.
Depuis 1999, les aventures du jeune et fringant ninja nous aurons émerveillées, émues, déçues aussi. Quoiqu'il en soit, elles nous aurons touchées.
Je préfère clarifier les choses : non, Naruto n'est pas le meilleur manga au monde. Oui Naruto possède un scénario bancal et relativement alambiqué. Oui Naruto est inégal dans le traitement de ses personnages (les personnages féminins, mon Dieu!) , avec des personnages secondaires stéréotypés, quasiment inutile et qui ont pour seule fonction de remplir le décor.
Malgré tout, Naruto reste un bon manga. Un manga intéressant, passionnant qui aura accompagné bon nombre de jeunes lecteurs, qui auront grandi aux côtés de leurs personnages fétiches respectifs.
Il serait trop long d'analyser la totalité du manga, qui aborde entre autres les thèmes de l'amitié, de l'amour, de la relation maître-élève, de la damnation, de la géopolitique, du citoyen envers son état et envers sa famille.
Un manga riche en somme, qui aborde un thème qui me semble incontournable : celui des frères de sang.

Le chapitre 698 cristallise ce que l'auteur, en réalité depuis le début de son oeuvre, ne cesse de mettre en scène : la relation de rivalité entre les êtres.
Que ce soit une rivalité amoureuse (Sakura/Ino), liée à la jalousie de l'autre (Neiji/Hinata) ou de différends artistiques (Sasori/Deidara), la rivalité est un thème omniprésent dans l'oeuvre de Masashi Kishimoto. Lui même possédant un frère, on peut aisément comprendre l'origine de cette fascination pour l'auteur. Une anecdote lie Kishimoto et son frère jumeau: une tradition de la région d'Okayama, région d'où est originaire l'auteur, est soumise aux bébés. 3 objets sont disposés devant eux : un abaque (espèce de boulier), un pinceau et quelques billets. Les enfants doivent faire un choix, qui selon la coutume japonaise détermine le futur du jeune bambin. Le frère de Kishimoto se serait, selon la légende, rué sur les billets, sans réfléchir. Kishimoto, quant à lui, aurait longuement hésité entre les billets et le pinceau... avant de finalement prendre les deux, provoquant l'hilarité générale au sein de la famille !
A l'instar de Kishimoto et de son frère, Sasuke et Itachi, bien que de la même famille, sont profondément différents. Du même sang, mais non de la même trempe. Kishimoto a souvent affirmé que Sasuke était de loin son personnage préféré, celui qu'il prenait le plus de plaisir à dessiner : l'auteur entretiendrait-il une relation similaire avec son propre frère..?
Une rivalité grandissante, qui est à l'origine de la défection de Sasuke. Afin d'acquérir toujours plus de puissance, le jeune Uchiwa quitte son village natal, laissant tout derrière lui, tournant le dos à son passé.

Une rivalité entre les personnages que l'on retrouve entre Kakashi et Obito, Jiraya et Orochimaru et particulièrement entre Naruto et Sasuke, les deux protagonistes du manga. Il y a entre ces rivalités une réalité flagrante : la lutte du bien et du mal. De plus, dimension totalement shakespearienne, l'histoire semble se répéter indéfiniment : le 1er Hokage contre Madara, Jiraya contre Orochimaru, Kakashi contre Obito et plus récemment Naruto contre Sasuke. Véritable dichotomie, et pourtant il s'agit de méchants très miyazakiens : ils ne sont pas mauvais de nature mais ont une image biaisée du bonheur et de la quête qui leur paraît juste.
Orochimaru se trompe, par exemple, sur le sens du mot Shinobi :

"Ninja, ce terme désigne celui qui pratique le ninjustu", Orochimaru, tome 19

L'acquisition de la puissance, du savoir à outrance serait, d'après lui, le but ultime de tout ninja, ce à quoi Jiraya répond que la valeur d'un ninja ne tient pas dans le nombre de techniques qu'il possède mais dans sa capacité à endurer et à :

"Sa volonté de ne jamais abandonner", Jiraya, tome 19

Tirade justifiée par l'intervention de Naruto et de son rasengan ravageur sur Kabuto.
Obito, quant à lui, ne peut accepter la réalité dans laquelle il vit après la mort de Rin, dont il était secrètement amoureux. Il souhaite créer un monde plongé dans une illusion éternelle dans laquelle tout le monde vivrait, créant ainsi un monde dépourvu de toute souffrance. Objectif noble, qui s'apparente à celui de Kakashi (rechercher la paix et la stabilité dans le monde ninja) dans le fond mais non sur la forme : la réalisation d'un tel plan priverait les êtres de ce monde de leur libre arbitre. La création d'un monde imaginaire où se retrancher n'est donc pas la solution : il faut tâcher de rendre le monde réel bon et juste, de se battre pour celui-ci et de le défendre malgré ses imperfections et ses injustices.
Sasuke, de son côté, s'apparente énormément au destin et aux idéaux d'Orochimaru : acquérir de la puissance afin d'être capable de terrasser n'importe quel type d'adversaire. Une pensée qui a ses limites, comme le prouve la fin du chapitre 698 :

La relation entre Naruto et Sasuke est également très similaire à celle de Sarutobi et de Danzô:

"J'étais la racine enfouie dans les profondeurs de la terre, tu étais
le luxuriant feuillage baigné par le soleil" , Danzô, tome 51

La situation s'applique à Naruto et Sasuke : tandis que Sasuke s'enfonçait toujours plus bas dans les ténèbres (défection du village, renégat, assassin à la solde d'Akatsuki troublant l'ordre mondial) , Naruto rayonnait et montait véritablement en puissance (en première ligne contre Akatsuki, héros de Konoha suite à l'attaque de Pain, élément primordial dans la Guerre ninja pour oeuvrer pour la paix) :

"Sa personnalité, c'est l'exact contraire de Sasuke. Et son chakra est si clair, si chaleureux" , Karin, tome 52.

Et pourtant, malgré leur opposition diamétrale, Naruto n'a jamais tourné le dos à Sasuke : son ami, son frère de sang.
Là peut être une des morales du manga : des personnes aux idées et aux pensées différentes peuvent s'entendre. La diversité enrichit les individus, au lieu de les diviser.
La rivalité, en réalité l'échange de connaissances et le partage entre les êtres, entraîne l'enrichissement entre les individus et garantit une certaine stabilité, à l'image du Ying et du Yang. Il leur permet de progresser, de devenir meilleur :

"Seul le vent peut amplifier la puissance du feu" , Naruto, tome 37

Cet enrichissement doit être axé dans le but de faire le bien et d'améliorer la société pour "Le Roi" :

"Les enfants à naître, ceux qui portent le futur de Konoha : ils sont
le Roi", Shikamaru, tome 38

Une belle leçon de vie, et un magnifique manga à dévorer sans plus attendre.