Je connaissais vaguement l'histoire de Nellie Bly via le portrait que Pénélope Bagieu avait fait d'elle dans la BD Les Culottées. Nellie Bly, c'est quelqu'un : la pionnière du journalisme d'investigation, à la fin du 19e siècle aux Etats-Unis. En tant que femme, elle a dû d'autant plus se battre pour se faire une place dans le monde de la presse, et pour ça, elle a réalisé des incroyables enquêtes de terrain qui ont eu des effets d'explosion dans la société américaine. Une sorte d'Elise Lucet avant l'heure. Dans cette BD, c'est spécifiquement son enquête sur les hôpitaux psychiatriques pour femmes à New York qui est contée, à ma plus grande joie et mon plus grand intérêt.
A travers la BD, on voit nous-même (en même temps que Nellie) à quel point la situation dans ces hôpitaux est catastrophique : famine, froid, maltraitance, insalubrité... Et là où le propos est particulièrement intelligent, c'est qu'on constate que ces justement ces traitements... qui rendent les patientes folles. Car si elles sont à l'origine enfermées, c'est parce qu'on estime qu'elles n'ont plus leur place dans la société : pour la plupart elles ne "fonctionnent" plus à cause de deuils, de traumatismes, etc, et parce qu'elles ne peuvent plus être des femmes comme la société l'entend, et parce qu'elles sont pauvres, elles se retrouvent enfermées dans ces hôpitaux.. et en deviennent folles. Ce qui fait qu'elles ne peuvent plus partir.
Tout sert de biais de confirmation aux médecins, et c'est pour ça que Nellie réussit si facilement à être interné, en jouant simplement la comédie. Lorsqu'elle arrête de jouer la comédie, tous continuent de la diagnostiquer folle, parce que tout ce qu'elle dit, tout ce qu'elle fait, est considéré comme symptômes, à cause de ces biais de confirmation.


Bref, des tonnes de dysfonctionnement du système psychiatrique, démontrés plus tard par les penseurs de l'antipsychiatrie, mais que Nellie, déjà à son époque, constate avec une grande lucidité. Tout le talent de la scénariste a été de montrer tout cela très clairement. La psychiatrie, ici, sert d'outil de contrôle pour ces femmes qu'on estime "pas adaptées". Et les mauvais traitements qu'on leur inflige font qu'elles le sont ensuite encore moins.
(Les choses ont-elles d'ailleurs réellement changé ? Rien qu'en France, les rapports du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté faits sur les hôpitaux psychiatriques montrent que le chemin est encore long avant que le soin en psychiatrie ne soit réellement du soin.)


Concernant le dessin, il sert la narration avec brio. Effectivement, le choix a été d'alterner l'enquête de Nellie, avec des souvenirs de son enfance puis de ses débuts de journaliste. L'illustratrice a choisi, pour ces alternances, de changer radicalement de jeux de couleurs. Et ça fonctionne à la perfection. Les planches "souvenirs", d'ailleurs, permettent de souffler de temps à autres au milieu du récit des hôpitaux (effet renforcé par le ton beaucoup plus chaud et lumineux des couleurs). Et permettent aussi de mieux saisir le personnage de Nellie, de comprendre ce qui l'amène à être journaliste, ce qui l'amène à défendre les autres femmes, et notamment celles qui sont pauvres, et qui n'ont pas d'autre voix que celles de personnes comme Nellie.

akaratlan-dallam
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le 12 déc. 2021

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