Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2019, écrits par Kieron Gillen, dessinés et encrés par Dan Mora, avec une mise en couleurs réalisée par Tamra Bonvillain. Les couvertures originales ont été réalisées par Mora.


Dans les Cornouailles en Grande Bretagne, sous une grande tente, de nuit, un archéologue montre les trouvailles de la journée à Elaine : deux couteaux, des amphores, un magnifique fourreau d'épée avec sa ceinture. En sa qualité d'experte, elle se prononce immédiatement : c'est une relique authentique du cinquième ou du sixième siècle. Trois hommes aux cheveux coupés très courts et habillés de noir pénètrent dans la tente. L'un d'eux sort une arme à feu et abat l'archéologue, après avoir répondu à sa question de savoir ce qu'ils veulent : reprendre l'Angleterre. Dans le comté du Somerset, dans une maison de retraite, des personnes âgées en partie grabataires subissent les nouvelles à la télévision, alors que Bridgette McGuire regarde par la fenêtre en roulant une cigarette. Elle entend le journaliste évoquer la mort de l'archéologue Alan James, dans un site des Cornouailles, en effectuant des recherches dans le lit dans lac asséché pendant la vague de chaleur. Il continue : tout ce qui a été dérobé est un fourreau du sixième siècle. Bridgette comprend tout de suite la portée de ce meurtre et surtout de ce vol, et elle demande la permission de sortir quelques instants pour fumer sa cigarette.


À Bristol, Duncan McGuire est au restaurant, attablé avec Rose qu'il a invitée. Il vient de renverser son verre de vin sur sa robe blanche avec un large décolleté. Il s'excuse profusément pour sa maladresse, d'habitude, il n'est pas aussi empoté. Il lui tend sa serviette en tissu pour qu'elle puisse éponger un peu. Son téléphone portable sonne : c'est la maison de repose de sa grand-mère. Il s'excuse : il doit répondre. Le responsable lui annonce qu'elle n'est pas revenue de fumer sa cigarette et qu'ils ne l'ont pas encore trouvée. Il raconte tout à Rose qui lui demande ce qu'il va faire. Son téléphone resonne : c'est sa grand-mère Bridgette. Elle lui explique qu'elle s'est enfuie intentionnellement en catimini, plutôt que de faire un esclandre et qu'elle souhaite qu'il vienne la chercher car elle a besoin d'un peu d'aide pour un problème. Il s'excuse auprès de Rose car il doit vraiment y aller. Elle lui répond qu'elle a déjà eu des rencards pires, au moins celui-ci était bref. Duncan retrouve sa grand-mère au milieu des bois dans une clairière là où elle lui avait indiqué. Elle a pris un Über. Elle est en train d'ouvrir une caisse avec un pied de biche. Le couvercle glisse enfin : dedans se trouvent de nombreuses armes à feu automatiques, et une épée. Rien ne manque.


Le titre annonce clairement le fond du récit et crée un horizon d'attente chez le lecteur : cette expression est appliquée à un roi qui doit revenir, et qui désigne Arthur Pendragon. Il en déduit que la silhouette enténébrée de la couverture est celle du roi et qu'il tient dans sa main sa célèbre épée Excalibur sur la lame de laquelle se reflète Duncan et sa grand-mère Bridgette armée d'un pistolet mitrailleur. C'est donc parti pour une variation sur le cycle arthurien, avec son retour à l'époque contemporaine pour sauver la Grande Bretagne. Gillen n'est certainement pas le premier à imaginer un tel retour, et le lecteur de comics se souvient peut-être de la version de Brian Bolland : Camelot 3000 (1982-1985) avec Mike W. Barr, Terry Austin, Bruce Patterson. Dans ce premier tome, il y avance doucement et progressivement avec le retour d'Arthur, et la question sur qui incarne quel chevalier de la table Ronde. Il est donc question de Galaad, et de Perceval dans un premier temps, ainsi que du roi-pêcheur et donc du Graal, sans oublier une certaine épée. Encore une version de la légende arthurienne ! Est-ce bien nécessaire ? Typiquement, tout dépend de la manière dont c'est raconté, plutôt que du fond de l'histoire. Encore qu'il reste à découvrir de quelle version le scénariste s'est inspiré.


En fonction de ses préférences, le lecteur peut se lancer d'entrée de jeu dans les paris de savoir qui est qui, en particulier qui va assumer le rôle de quel chevalier. Gillen prend son temps : d'abord introduire deux ou trois personnages totalement nouveaux, à savoir Bridgette McGuire et son petit-fils, avec Rose. Ensuite mettre en scène la résurrection d'Arthur, gérer au compte-goutte le retour en personne ou en fonction des chevaliers, de l'épée, et d’autres éléments célèbres du mythe. La première surprise réside dans le rôle dévolu à Arthur. La prophétie annonce qu'il reviendra à l'heure la plus sombre de la Grande Bretagne. Or Bridgette McGuire fait observer qu'il est toujours possible d'interpréter une prophétie de deux manières. En outre, un groupe d'individus espère bien son retour, fait tout pour qu'il se réalise, et le voit déjà mener les hommes de bonne volonté avec une visée politique bien affirmée, visée un peu décalée et annoncée explicitement dès la quatrième planche. Le lecteur peut ne pas y prêter tout de suite attention, et il y revient après coup, en souriant. Bien joué. Dan Mora doit également relever un défi intimidant : donner à voir une interprétation d'Arthur et du mythe, dans une version à la fois reconnaissable, et à la fois personnelle.


Le lecteur peut percevoir le soin apporté à la conception de la série également dans les couvertures. Chacune d'entre elles met en scène un personnage de la série, tenant une épée, dans laquelle se reflète un ennemi ou un objet emblématique. Il fait d'abord connaissance avec des personnes peu recommandables : la responsable de petit groupe qui œuvre dans l'ombre pour le retour du roi d'hier et de demain, et ses hommes de main. Il s'agit d'individus normaux, sans caractéristiques particulières… sauf une qui devient évidente à la moitié de ce tome. Bridgette est une femme visiblement âgée, un peu desséchée, qui semble ne pas être très commode. Duncan est un sympathique jeune homme roux, d'une vingtaine d'années, trente ans au plus. L'artiste gère la mise en scène avec une redoutable efficacité, le lecteur ne prenant conscience de la morphologie de Duncan que dans la deuxième moitié du tome. Rose est une très belle jeune femme, et il apparaît dès la première case qu'elle ne risque pas de joie le rôle de la demoiselle en détresse, au vu du regard assassin qu'elle renvoie à Duncan. Les êtres humains sont représentés de manière réaliste et plausible, avec parfois des traits acérés qui viennent leur donner un air farouche ou dangereux à certains moments. Il porte des tenues vestimentaires ordinaires, cohérentes avec leur statut social, avec leur occupation du moment. Mora s'amuse visiblement bien pour dessiner et animer une grande créature serpent qui attaque Duncan. Il insuffle une vraie puissance dans les personnages en armure médiévale. Il donne une apparence redoutable et inoubliable à Arthur, ce qui vient apporter du crédit au positionnement que lui donne le scénariste.


Dès la première séquence, le lecteur constate que Dan Mora maîtrise parfaitement les techniques pour réaliser une planche dans un délai contraint et respecter les cadences de production, à raison d'un épisode par mois : en l'occurrence l'absence de représentation des arrière-plans. D'un autre côté, il est complété par une coloriste qui sait y faire, que ce soit avec un camaïeu simple, ou avec des effets spéciaux pour la manifestation de la magie. En outre, l'artiste n'abuse pas de cet expédient, et le lecteur peut se projeter dans de nombreux lieux : les rives du lac presque asséché, la salle commune de la maison de retraite, le restaurant chic dans lequel Duncan a invité Rose, l'habitacle de la voiture de Duncan, la tour de Glastonbury, la cathédrale de Bath, le château dans l'Outre-Monde, etc. Les scènes d'action impressionnent par leur vitesse et leur force, évoquant parfois l'aspect acéré des dessins de Sean Murphy ou de Matteo Scalera. Le lecteur est fasciné et contenté par ce divertissement de qualité.


D'ailleurs l'intrigue en elle-même relève aussi du divertissement bien tourné : une personne âgée qui mène son petit-fils par le bout du nez, et qui manie les armes à feu avec une efficacité redoutable, le beau héros dépassé par les événements mais qui parvient à se montrer utile de temps à autre, la collègue qui amène ses connaissances et son répondant sans se transformer en une machine de guerre ou une combattante hors pair, les ennemis pas si futés que ça, l'ennemi monstrueux, des hommes en armure, de la magie, des touches d'humour (la grand-mère qui révèle que son petit-fils est encore vierge). Bien sûr, Kieron Gillen, scénariste émérite, a concocté un récit qui libère d'autres saveurs. Pour commencer, il y a une fibre subversive bien iconoclaste, avec le rôle qu'il fait jouer à Arthur. C'est à la fois logique et cohérent, à la fois irrémédiablement politiquement incorrect. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut également voir dans les manigances de la grand-mère le fait que l'âge et la traîtrise auront toujours raison de la jeunesse et du courage, ou que les générations précédentes conservent une influence durable sur leurs descendants. Il y a également comme une forme de reconnaissance que les vieux mythes conservent toute leur force et leur pertinence et qu'il est vain d'essayer d'en créer de nouveaux ex nihilo, mieux vaut continuer de construire à partir de ceux ayant résisté à l'épreuve du temps.


Encore une version du mythe de cycle arthurien ? Oui, avec une réelle personnalité des auteurs. Le lecteur salive à l'avance de plonger dans un récit divertissant et familier : il en a pour son argent avec une narration visuelle vive, une utilisation respectueuse des éléments du mythe, et une mise à profit de ce que le lecteur sait déjà pour mieux le détourner, sans le trahir.

Presence
10
Écrit par

Créée

le 5 mars 2022

Critique lue 23 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 23 fois

D'autres avis sur Once & Future, tome 1

Once & Future, tome 1
AntOOnin
7

Mamie vénère

Positifs: - Une bonne réinterprétation de la légende Arthurienne - Deux personnages principaux attachants - De l'action - Des beaux dessins (un petit côté Francis Manapul très appréciable) - Une...

le 1 nov. 2020

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime