Un peu de savoir n'a jamais fait de mal à personne.

Ce tome fait suite à Once and Future T02 (épisodes 7 à 12) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 13 à 18, initialement parus en 2021, écrits par Kieron Gillen, dessinés et encrés par Dan Mora, avec une mise en couleurs réalisées par Tamra Bonvillain. Il contient également les 6 couvertures de Mora, ainsi que les couvertures alternatives réalisée par Frany, Rod Reis, Matías Bergara, Dani, Christian Ward, Qistina Khalidah.


Bridgette McGuire est assise dans une chaise longue sur la grande terrasse en bois de la maison de retraite à Avon, en train de savourer une cigarette, alors que le jour commence à décliner. Elle voit une pie se poser devant elle, puis une seconde, puis une troisième, jusqu'à ce qu'il y en ait ainsi six. Elle commence à réciter une comptine de Une pour le chagrin, deux pour la joie, trois pour une fille, quatre pour un garçon, cinq pour l'argent, six pour l'or. Mais elle connaît une autre version qui se termine avec six pour l'enfer. Les pies ouvrent le bec et articulent le mot Enfer. Soudain l'une d'elle explose, puis encore trois autres, abattues par Bridgette d'un coup de pistolet. Elle déclare : deux pour la joie, ou pour la gaieté. Les pies se regardent et l'une d'entre elle attaque sauvagement l'autre en lui déchirant la gorge avec son bec. Elle prononce un autre mot : chagrin. Elle explose à son tour pulvérisée par une balle. Bridgette se lève, sort son téléphone et appelle son petit-fils Duncan.


Duncan McGuire décroche son téléphone et écoute sa grand-mère. Il indique qu'il a bien compris et qu'il va appeler Rose pour la mettre au courant. Ça fait sourire cette dernière car il se trouve dans son appartement. Elle se livre à une divination en jetant des épingles sur la carte de l'Angleterre : il ne se passe rien, les épingles ne désignent aucun endroit. Elle ajoute qu'elle recommencera le lendemain matin. Ils sortent de son immeuble et elle va l'emmener avec sa voiture car celle de Duncan a été détruite lors d'un combat. À leur insu, ils sont épiés et pris en photo par un observateur anonyme. Le lendemain, ils se présentent à la maison de repos et un aide-soignant les prévient que Bridgette s'amusait avec son arme à feu la veille. Ils la retrouvent et discutent : elle trouve que Duncan a les traits tirés, il pense aux monstres qu'il a dû combattre. Il pense également au moment où il a embrassé Rose au bord de la rivière. La grand-mère indique qu'elle a bien compris qu'ils se courtisent, et elle évoque le fait que le père de Duncan était un Palamède. Elle continue : ils disposent de deux axes d'enquête. D'un côté, pour façonner un Galaad aussi bon que celui qu'a fait Mary, il faut trouver quelqu'un qui pourra faire Lancelot, et le localiser permettrait de progresser de manière significative. D'un autre côté, Mary avait recruté des nationalistes intégristes pour faire revenir Arthur à la vie et une manière d'avancer serait de localiser l'endroit où ils se réunissaient.


Dans le deuxième tome, les héros avaient affronté un avatar d'une autre légende britannique, et l'épilogue montrait Arthur prenant place sur le siège périlleux, et un homme d'une cinquantaine d'années en costume, rendant compte de la situation au Premier Ministre. Le lecteur sait qu'il revient avant tout pour l'intrigue et pour la narration visuelle alerte. Il se dit que le trio de héros, Duncan, sa grand-mère Bridgette et son amoureuse Rose, vont se retrouver face à une autre légende s'étant incarnée dans le monde réel contemporain, pendant que Merlin continue d'avancer ses pions, qu'Arthur cherche à progresser, et que Mary continue ses manigances, avec certainement la manifestation d'un ou deux autres chevaliers de la Table Ronde. Le premier épisode lui donne raison dans la dernière page avec l'irruption d'un chevalier d'une certaine couleur, en provenance d'un récit de Pearl Poet, poète anglais anonyme de la seconde moitié du quatorzième siècle. Merlin et Arthur apparaissent à plusieurs reprises, ainsi que Gauvain, et il est question du Graal, sans oublier un ou deux autres chevaliers et un dragon pour faire bonne mesure. Le scénariste continue donc sur sa lancée, avec les éléments de la légende arthurienne, dans une version réincarnée, où la légende dicte le comportement de certains personnages, c'est la force du mythe, mais où parfois cette même légende doit faire avec les individus existants, et certains d'entre eux manipulent les événements pour qu'ils tournent en leur faveur, ou se mettent en position de jouer le rôle qu'ils ambitionnent. C'est un jeu d'équilibriste que de s'en tenir aux grandes lignes de la légende, tout en trouvant des espaces de liberté pour surprendre le lecteur, et Kieron Gillen se révèle être un funambule de premier ordre, surprenant le lecteur aussi bien quand il respecte le déroulement du cycle arthurien que quand il l'aménage à sa sauce.


Le lecteur revient également pour la narration pleine de verve. Le prologue est tout bonnement incroyable. Le lecteur commence par remarquer les couleurs : la coloriste n'hésite pas employer des teintes un peu claires et d'autres soutenues, ce qui, par contraste, crée une grande dynamique dans l'image. Elle passe d'un bleu sombre renforcé par des aplats de noir aux contours effilochés pour les nuages, à un rose vif pour souligner qu'il se produit un phénomène magique, et pour arriver à un rouge carmin du fait de l'effusion de sang. Tamra Bonvillain réussit à mettre en œuvre des teintes très colorées, tout en trouvant un bon dosage, avec une sensibilité plutôt réaliste et l'intrusion du de la magie qui vient apporter des nuances qui n'appartiennent pas au monde réel, accompagnant ainsi le basculement dans le fantastique, dosant ses effets en fonction du pourcentage de magie présent dans la scène. Dan Mora épate tout autant le lecteur avec cette première scène. Il commence par poser le lieu dans une case occupant les trois cinquièmes de la page : cette magnifique terrasse avec uniquement la présence de la grand-mère, l'herbe au premier plan, le plancher en bois, le paysage qui se reflète sur les panneaux de verre de la baie vitrée, la petite silhouette d'un oiseau qui approche. Le lecteur sent le souffle du vent, le calme et l'absence de bruit. Il voit les pies approcher cercle et poser bien aligner, fixant Bridgette de leur regard. Cette dernière est extraordinaire : tout d'abord totalement détendue, puis son visage se referme en comprenant qu'il s'agit d'un présage surnaturel. Il la voit abattre froidement les oiseaux, puis son regard se fait inquiet quand la pie attaque sauvagement son congénère.


Tout du long, le lecteur apprécie l'expressivité des personnages, par leur visage, par leur posture. L'artiste met à l'œuvre un impressionnant talent de directeur d'acteur, que ce soient les expressions agressives lors des combats, l'attitude presque maternelle de Bridgette tenant dans ses bras un homme ayant conscience de vivre ses derniers instants, ou encore Rose découvrant l'état de la peau de Mary et comprenant comment elle a ainsi été mutilée. Comme dans les épisodes du tome précédent, il dose avec un savoir-faire très assuré le degré de détails des décors, passant d'un environnement représenté avec minutie, à des fonds de cases uniquement animés par des camaïeux pendant les séquences d'action ou lorsque la magie est à l'œuvre. Le lecteur garde ainsi à l'esprit de nombreuses images : les oiseaux pulvérisés, Duncan recevant un coup de boule, l'agonie du nationaliste, la révélation de l'état de la peau de Mary, Arthur recouvert de végétaux sur le siège périlleux, le visage de Mary dépassant de la surface de l'eau à côté d'un nénuphar, le dragon en train de se déchainer, les asticots formant un mot sur le sol, etc. Le scénariste est tout aussi en verve entremêlant légende et personnages à sa guise, en maintenant un rythme soutenu sans être précipité et des enjeux bien clairs, avec le risque de l'invasion de l'Angleterre par une force maléfique.


Les auteurs ne se contentent pas de re-raconter à l'identique le cycle arthurien, en piochant des éléments moins évidents et en y ajoutant une ou deux légendes connexes ou contemporaines d'Arthur et de Camelot. Dans un premier temps, le retour complet d'Arthur semble connaître un arrêt temporaire, pendant qu'un chevalier de premier plan revient et que Mary continue d'intriguer. C'est l'occasion d'en apprendre un peu plus sur le père de Duncan, sur la manière dont son grand-père a traité sa mère, et sur la manière dont quelques êtres humains parviennent à agencer certains événements pour trouver leur place dans la résurrection d'Arthur. Gillen fait bien attention à ne pas mettre trop d'ingrédients dans son récit, à ne pas en perdre en route, à ne pas se montrer abscons avec des détails trop obscurs qui risqueraient de ne pas faire sens, sans non plus s'en tenir à une version édulcorée. Il conserve bien son récit sur le plan de l'aventure, avec le preux Duncan qui combat les monstres et qui aide sa grand-mère. Même si Rose et Mary sont des personnages secondaires, elles ne sont ni des potiches, ni des victimes, encore moins des faire-valoir. La question de la légitimité des citoyens dans l'Angleterre d'Arthur reste en toile de fond, avec ce point de vue fort iconoclaste. Le lecteur sourit régulièrement en voyant comment chaque prédiction peut prendre un sens inattendu, car il se souvient de Bridgette faisant observer que chaque prophétie peut s'interpréter d'au moins deux manières.


En entamant ce troisième tome, le lecteur se dit qu'il va retrouver une structure de récit bien établie : un nouveau monstre issu d'une légende, l'arrivée d'un autre chevalier, Mary franchissant une étape dans son plan, Merlin également, et Arthur ne faisant progresser que très lentement sa restauration. Il y a de cela, mais il oublie rapidement cette impression de chemin tout tracé grâce à la narration visuelle toujours aussi formidable dans sa mise en scène, dans sa direction d'acteurs, dans ses couleurs, et ses quelques touches d'humour. Il se rend compte que l'intrigue le prend par surprise à plusieurs occasions, et que son déroulement n'est pas si prévisible que ça. Une relecture décidément personnelle et enlevée du mythe du roi Arthur.

Presence
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le 2 avr. 2022

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