Ce tome fait suite à Paper Girls Tome 2 (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2017, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés et encrés par Cliff Chiang, avec une mise en couleurs réalisée par Matt Wilson.


En 1988, sur le terrain de sport du collège, KJ se prend une boule de boue derrière la tête, alors qu'elle est en train de jouer au hockey sur gazon. Elle se fait traiter d'homosexuelle avec un terme insultant, par une autre file à la tête d'un groupe de 4 (portant les numéros 5, 8, 11 et 24). Alors qu'elle s'apprête à s'emporter contre elle, elle a une vision de sa grand-mère qui lui fait observer que ce sont les autres qui se conduisent comme des monstres. Mais KJ observe que ce n'est pas le vrai tatouage de numéro de prisonnière de camp sur son bras. Les 4 autres filles se transforment en monstres et crachent un flot de sang sur KJ qui se noie dedans. Elle se réveille de ce cauchemar devant le feu de camp, Erin Tieng étant assise de l'autre côté du feu en train de lire un numéro du Cleveland Preserver. Tiffany est encore endormie à côté du feu. Mac est allée toute seule au bord du fleuve, pour fumer sa dernière clope. Alors qu'elle se demande si elle va la fumer maintenant ou si elle la garde pour plus tard, Wari, une jeune indigène, surgit des buissons en la tenant en joue avec son arc.


Wari entend un bruit dans la forêt, Mac en profite pour se jeter sur elle, et la flèche part dans le tronc d'un arbre. Les 3 autres jeunes filles surviennent, KJ tenant sa crosse de hockey à la main, mais elles ne s'en prennent pas à Wari pour autant, à la surprise de Mac. En effet, Wari porte un bébé (appelé Jahpo) sur son dos. Voyant qu'elle est surpassée en nombre, elle renonce à l'affrontement, et elle passe à l'allaitement de son fils, au plus grand étonnement des 4 filles. La barrière du langage reste complète et elles ne peuvent pas communiquer avec Wari. Cette dernière relève la tête inquiète car de grands bruits se sont fait entendre. Une énorme créature apparaît, sa tête étant à la hauteur de la cime des arbres. D'un coup de patte, elle envoie Mac dans la rivière. KJ confie sa crosse de hockey à Tiffany, enlève ses chaussures et plonge la tête la première dans la rivière pour se porter au secours de Mac que le courant a déjà emportée. L'énorme bête sauvage se tient toujours derrière les filles.


Si le premier tome pouvait donner l'impression d'être un produit construit sur mesure pour un lectorat de jeunes filles d'une douzaine d'années, le deuxième tome avait exhalé des saveurs plus variées, à même de combler tout type de lecteur. C'est donc avec un grand plaisir qu'il revient pour ce troisième tome, curieux de la confrontation entre aspirations d'adolescence et réalité d'adulte, d'imbrications temporelles aussi paradoxales qu'inextricables et des nouvelles aventures du club des 4, à moins que ce ne soit le clan des 4. Il reprend immédiatement pied dans le récit grâce à la cohérence graphique apportée par Cliff Chiang et Matt Wilson. L'artiste n'a pas perdu sa sensibilité pour donner vie aux 4 jeunes filles, ainsi qu'aux autres personnages. La séquence d'ouverture est assez incroyable donnant à voir la virulence sans retenue dont peuvent faire preuve les enfants, mais aussi l'histoire personnelle de KJ qui fait qu'elle ne répond pas à l'agressivité des autres joueuses de hockey, par plus d'agressivité. Le scénariste sait montrer comment l'exemple des adultes qu'elle a côtoyés influe sur le comportement de KJ, même s'il ne s'agit que d'un rêve. Chiang a fait en sorte que les 4 copines soient immédiatement reconnaissables et différenciables grâce à leur coupe de cheveux, à leur couleur de peau. Par ailleurs, les voyages dans le temps forment la dynamique du récit et font que les demoiselles n'ont pas l'occasion de se changer. Du coup, leurs vêtements forment comme un costume participant à leur identification.


Cliff Chiang n'a rien changé à sa manière de dessiner, en particulier les expressions des visages continuent de manquer de finesse. Cela est cohérent avec l'âge des jeunes filles où les émotions sont encore assez brutes, mais il applique la même approche pour les adultes, en particulier Quanta Braunstein, la responsable du projet Applex. Certains gestes bénéficient également d'un jeu d'acteur un peu appuyé, une légère exagération qui renforce un peu la dramatisation. Le lecteur peut se dire qu'il s'agit pour Cliff Chiang de rester tout public et de s'assurer que les jeunes lectrices percevront bien l'émotion du personnage concernée. Mais il se rend aussi compte que le jeu d'acteur, ou plutôt d'actrice, peut être tout en délicatesse, avec une sensibilité remarquable. Ainsi la séquence d'allaitement apparaît naturelle, sans une once de voyeurisme, tout en faisant observer la réaction des 4 filles à ce geste naturel, sans forcer sur la surprise, ou les grimaces. La mise en couleurs de Matt Wilson évite également de diriger un projecteur sur Wari, sur son fils Jahpo ou sur les filles. Chiang et Wilson renouvellent cet exploit de description respectueuse lorsque Mac s'aperçoit que KJ saigne pour la première fois. Ce qui aurait pu être un moment scabreux, voyeuriste, ou vulgaire, bénéficie à nouveau d'une mise en scène respectueuse et faisant affleurer les émotions complexes, entre trouble et gêne, des 2 demoiselles.


Cette histoire raconte également une aventure se déroulant pendant l'ère du pléistocène, dans une zone arborée, une rivière coulant au milieu. Il ne faut pas attendre de Cliff Chiang qu'il effectue une reconstitution plausible de cette époque, et d'ailleurs ce n'est pas ce genre d'histoire. Le lecteur peut donc voir des arbres d'une espèce impossible à identifier, implantés de manière à laisser un passage facile aux personnages. Il apprécie le travail discret et efficace de Matt Wilson pour apporter de la verdure au feuillage, et pour donner l'impression de jeux de lumière, sans abuser des textures, sans essayer de faire réaliste. Néanmoins, son approche de la mise en couleurs a évolué, pour être moins écrasante, moins aplatissante, et conserver un peu de relief, et surtout la distinction entre les différents plans dans une même case. Les descriptions de l'environnement ne fourmillent pas de détail et n'ont aucunement la prétention d'être réaliste. Cependant la mise en scène rend bien compte de la profondeur de champ, de l'absence de toute construction, de l'interaction des personnages avec les obstacles. Ils ne donnent pas l'impression d'évoluer sur une scène vide avec une toile de fond, mais ils se déplacent en cohérence avec le relief, avec la végétation. Le lecteur ne ressent pas la chaleur ou l'humidité des clairières, mais il voit les 4 filles, Wari et son fils et les autres personnages évoluer dans des lieux plausibles.


Grâce aux dessins directs de Cliff Chiang, le lecteur se laisse entraîner dans ces aventures improbables : 4 filles de 1988 se retrouvant au Pléistocène, se battant contre une indigène avec un bébé dans le dos, utilisant ensuite un traducteur universel, croisant le chemin d'une voyageuse temporelle, se battant contre des grosses bébêtes à la nature indéterminée, puis contre des hommes des cavernes, ou une sorte d'équivalent, visiblement beaucoup moins évolués que Wari. Pour ce troisième tome, Brian K. Vaughan s'éloigne pour un temps des paradoxes temporels pour un voyage plus simple et plus direct. Il reste quand même l'étrange forme de démon avec une pomme dessinée par l'absence de végétation sur le flanc d'une montagne, une capsule temporelle, un bidule en forme de pyramide inversée dont le lecteur se demande bien d'où il provient (les filles aussi) et de troublantes visions du futur pour KJ. Le lecteur a donc droit à sa dose de science-fiction, mais cette dernière prend le pas sur l'aventure. Il s'agit donc pour les filles d'échapper aux méchants individus primaires, de sauver le bébé et peut-être de trouver comment sortir de cette ère. Mais dès le début cette aventure comprend un élément d'une autre nature, faisant qu'elle ne peut pas se réduire à un nouveau chapitre pour un cœur de cible féminin adolescent.


Dans le tome précédent, le scénariste s'était montré impitoyable avec Erin Tieng en la mettant face-à-face avec elle-même âgée de 40 ans. Elle devait ainsi accepter ce qu'il allait advenir de ses aspirations. Il avait fait encore pire pour Mac qui en porte encore les stigmates dans ce chapitre. Dans ce nouveau tome, les filles affrontent une autre facette de leur devenir. Ça commence avec Wari qui est encore une adolescente, mais déjà mère, devant déjà porter la responsabilité de s'occuper d'un enfant qu'elle n'a en plus pas désiré, et conçu dans des conditions dépourvues de tout romantisme et sûrement même de consentement. Elles se retrouvent ainsi face à une maternité non désirée, mais pleinement assumée. Cette notion revient encore avec les premières règles de KJ. La réaction de Mac montre qu'elle ne la considère plus comme sa copine parce que KJ est passée de l'autre côté, dans l'âge adulte celui où la matrice est activée et la procréation est possible. Cette prise de conscience se fait de manière naturelle avec toute la gravité d'un tel rite de passage, mais aussi le fait que KJ reste la même. Le scénariste sait évoquer cette question de front, sans pour autant se montrer lourd ou condescendant. Il est vraisemblable que les lectrices identifieront leurs préoccupations ou des questionnements qu'elles ont déjà traversés. Il est à espérer que les lecteurs sauront se projeter dans ces personnages pour partager leur vision féminine du monde, dénuée d'eau de rose, ou de fanfreluches.


Après un deuxième tome mêlant science-fiction, aventures et interrogations sur sa vie d'adulte, les auteurs ont réalisé un troisième chapitre qui reprend exactement les mêmes ingrédients, avec un dosage différent, et des questions différentes. Les 4 demoiselles sont perdues à une époque très éloignées de la leur. Les dessins montrent qu'elles sont toujours aussi débrouillardes et aventureuses, tout en accusant le coup de plusieurs prises de conscience, différentes pour chacune d'elle. La question de la vie d'adulte reste prégnante, avec d'autres types d'interrogations que la carrière ou la vie amoureuse. Enfin, ces aventures ne les laissent pas inchangées car le temps continue de passer et d'apporter des changements.

Presence
10
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le 2 oct. 2019

Critique lue 122 fois

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