Ce tome fait suite à Girl From H.O.P.P.E.R.S. qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome de la série consacré à Maggie & Hopey pour pouvoir avoir développé une affection progressive pour ces deux jeunes femmes, et ressentir une empathie indispensable. Il regroupe les histoires contenues dans les numéros 33 à 50 de l’anthologie Love and Rockets, initialement parus d'août 1990 à mai 1996. Tous les chapitres sont en noir et blanc, entièrement réalisés par Jaime Hernandez. La table des matières répertorie 16 chapitres d'une longueur variant entre 3 pages pour le plus court, et 116 pour le plus long. Il se termine avec un trombinoscope recensant 71 personnages.


Maggie et Hopey sont à une soirée et la première est en train de contempler un carton de jus d'orange sur lequel se trouve la photographie de deux personnes disparues dont Esperanza Glass. Hopey suppose que c'est un coup de sa mère qui a fait ainsi apposer sa photographie. Elle ne souhaite pas le conserver comme souvenir. Ça amuse Maggie qui, elle, souhaite le conserver et qui vide le jus dans l'évier pour récupérer le carton. Sa copine lui fait remarquer que les invités qui voudraient du jus d'orange dans leur vodka ne vont pas être contents avec elle. Du coup, elle se dit que c'est peut-être le bon moment pour quitter cette fête et se rendre à celle de Penny Century. Hopey remarque que Mary leur fait un signe pour qu'elles la rejoignent. Maggie lui demande d'y aller toute seule, car Rosa est avec Mary. Puis Maya repère Hopey et la rejoint pour la serrer dans ses bras, et elle se met à raconter à Mary qu'elle et les deux copines passent du bon temps au lit. Pendant ce temps-là, Maggie se retrouve à écouter distraitement les anecdotes de deux acteurs de théâtre. Elle se fait héler par Rosa qui voudrait qu'elle lui ramène une bière. Elle est sauvée par Pat qui tend une bière à Maya. Quelqu'un a ramené du jus d'orange. Hopey se retrouve à discuter avec Maya.


À Chester Square, à quelques kilomètres de Hoppers, deux femmes âgées papotent : Sara la propriétaire du bar et Elva la propriétaire de la laverie automatique. Ruby, la prostituée, se tient appuyée contre le poteau télégraphique. Tito junior arrive en uniforme de policier, remplaçant son père qui est malade ce jour-là. Une jeune femme arrive en petite robe noire, avec une valise à la main, pieds nus : Maggie souhaite savoir quand passe le prochain bus. Elle va mettre ses affaires à laver à la laverie automatique et attendre patiemment au bar. Les hommes du coin arrivent pour descendre une bière. Quelques temps après, Maggie a décidé de s'éloigner de la ville de Hopper et elle rejoint le camp d'entrainement pour catcheuse, tenu par sa tante Vicki Glori (Vicki Lane). Elle rentre dans la salle d'entraînement, où Xochitl est en train d'en voir de toutes les couleurs sur le ring. Plus tard, Maggie passe une journée avec la magnifique Beatriz Garcia, surnommée Penny Century. Xochitl passe une soirée amère avec son époux et leurs deux enfants. Maggie se fait draguer par Gina qui a visiblement le béguin pour elle. Etc.


Au début de la dernière histoire intitulée Bob Richardson, l'auteur a ajouté une petite note pour rappeler que Perla, Maggie, Crevette (Shrimp) et Margaret ne sont qu'une seule et même personne. C'est un détail, mais il est révélateur de ce que la série est devenue au fil des numéros et des années. Le créateur a développé des personnages, très progressivement, leur inventant un passé qui n'est évoqué que lorsqu'une situation rend la chose naturelle. Le lecteur les a vu interagir le plus naturellement du monde dans des situations banales, parfois moins habituelles, se focalisant surtout sur leur ressenti et leurs émotions, l'intrigue jouant souvent un rôle secondaire, juste une toile de fond. Mais de temps à autre, il est question d'une de ces situations, ou d'un moment d'une relation entre deux personnes, comme ça, sans rappel des faits précédents, comme dans la vraie vie. S'il n'a pas lu les tomes précédents, le lecteur sent bien qu'il a raté quelque chose, qu'il ne comprend pas telle allusion, mais aussi les réactions qui en découlent. Il ne se sent pas alors juste exclu, il sent que sa relation empathique avec Maggie, avec Hopey ou avec une des autres femmes jouant un rôle secondaire, se désintègre, le laissant avec de jolies cases, mais totalement étranger à ce qui se passe, à ce qu'elles éprouvent, à ce qui fait le sel du moment.


C'est tout le paradoxe de la série Locas de Jaime Hernandez qui gravite autour de Maggie et de Hopey. Il est vain de vouloir résumer les intrigues et pourtant ce ne sont pas des tranches de vie à proprement parler. Le lecteur ne suit pas la journée habituelle de Margarita Luisa Chascarrillo qui d'ailleurs a une vie assez mouvementée : il la suit plutôt dans des séquences de sa vie, plus ou moins longues. À de rares occasions elle travaille ; majoritairement elle passe du temps avec de copines, avec sa tante catcheuse et entraîneuse, avec une amante ou un amant. Ça ne veut pas dire qu'il ne se passe rien : il est possible d'énumérer des situations sortant de l'ordinaire. Danita réalise son premier striptease en tant qu'employée dans un bar. Ray se fait tabasser. Les jeunes gamins du quartier enquêtent pour savoir qui se cache dans une remise de jardin. Hopey répète avec son groupe. Crystal jour le rôle d'une fille prépubère pour une riche héritière. Gina, une catcheuse, tombe amoureuse de Perla. Les sœurs Chascarillo passent une nuit en cellule. Esther annule son mariage à quelques jours de la cérémonie. La voiture de Maggie est prise dans une coulée de boue. Etc. À chaque fois, l'intérêt de la séquence réside dans la manière dont chaque personnage perçoit la situation, s'y adapte et réagit en fonction de sa personnalité. Jaime Hernandez reste dans le registre de la comédie dramatique feuilletonnante, en mettant en œuvre les codes et les conventions correspondants.


En entamant ce troisième recueil, le lecteur sait par avance qu'il est déjà sous le charme de tous les personnages féminins, jeunes comme matures, en jolie robe qui la met en valeur, ou en costume de catch, ou en tenue décontractée pour préparer un repas ou pour voyager. Chacune d'entre elles se révèle élégante à sa manière, unique, décidée et faisant avec son éducation, ses aspirations, sa culture, son milieu social, sa force vitale, son physique, ses craintes, ses regrets. À chaque page, le lecteur sent qu'il ralentit sa lecture pour apprécier une case aux zones noires élégantes, un visage ou une expression d'une justesse extraordinaire, une silhouette rayonnant d'un naturel confondant, un accessoire inattendu, une situation totalement décalée quand elle est prise hors du contexte narratif, un état d'esprit qui trahit une stratégie comportementale en société, un paysage remarquable tracé en quelques traits d'une élégance sans égale, une direction d'actrices (et d'acteurs) extraordinaire, une mise en scène d'une rare évidence quel que soit le niveau d'activité de la séquence.


En ayant lu les deux tomes précédents, le lecteur sait par avance qu'il va se retrouver sous le charme de Maggie, jeune femme ordinaire, faillible, éminemment attachante, et toujours belle avec ses rondeurs. Il sait aussi qu'il va tomber en arrêt devant des cases à l'élégance incroyable, et pas seulement pour les femmes qui les habitent. Il sait aussi qu'il ne doit pas s'attendre à une intrigue sophistiquée, mais à un récit choral avec de nombreux personnages dont les vies sont intriquées, mettant en lumière des émotions et des états d'esprit fugaces, foncièrement humains et touchants.

Presence
8
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le 5 mars 2022

Critique lue 15 fois

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