Une lueur précieuse dans les sombres couloirs de l'Oncle Sam

Très remarqué à sa sortie l’an dernier, ce livre extrêmement personnel d’une nouvelle venue dans la bande dessinée a déjà été, de manière fort légitime, récompensé du prix Fnac-France Inter. Valentine Cuny-Le Callet nous livre ici une œuvre dense et hybride, où elle évoque sa correspondance avec Renaldo McGirth, jeune prisonnier afro-américain détenu dans le couloir de la mort. Plus qu’une simple dessinatrice, celle-ci pratique également la gravure, et par un seul feuilletage du livre, on ne peut être qu’impressionné par le talent de cette artiste qui jaillit littéralement de ces pages.


Si ce pavé impressionne également par son poids (plus de 400 pages tout de même !), il nous laisse qui plus est en état de sidération par son propos et sa complexité. « Perpendiculaire au soleil » est avant tout une œuvre intime relatant une expérience qu’on imagine poignante. Accusé de meurtre lors d’un braquage chez des particuliers aisés, Renato McGirth a été condamné en 2008 à la peine capitale mais continue à croupir dans le couloir de la mort en raison des complexités de procédure. Âgé de 34 ans aujourd’hui, l’homme clame son innocence, estimant qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable.


Valentine Cuny-Le Callet, sensibilisée très tôt par les questions autour de la peine de mort et du système carcéral américain, est entrée en relation avec le condamné suite à son inscription à l’ACAT, une association chrétienne militant pour l’abolition de la peine de mort. Sans rien savoir de son correspondant au départ, la relation épistolaire qu’elle entame avec lui révèle que le jeune noir manifeste un goût pour l’art et la littérature. Au-delà des courriers, l’un et l’autre échangeront également leurs dessins, transformant leur relation en démarche quasi-artistique, dont cette bande dessinée sera le fruit.


De fait « Perpendiculaire au soleil » est une œuvre tripale, où l’autrice exprime bien évidemment sa révolte vis-à-vis des conditions d’emprisonnement inhumaines concernant les condamnés à mort aux Etats-Unis, qui en grande majorité sont afro-américains et bénéficient rarement d’un traitement judiciaire exemplaire. Cuny dénonce ainsi la ségrégation raciale rappelant une époque qu’on voudrait croire révolue mais qui encombre encore largement le système judiciaro-policier de ce pays, lequel aime à se prétendre phare de la démocratie dans le monde.


Vibrant plaidoyer contre la peine de mort, le livre aurait peut-être pu se faire plus synthétique d’un point de vue narratif, mais cette densité est compensée par le talent graphique de l’artiste qui se déploie sur ces 400 pages, lequel pouvait difficilement subir un tronçonnage dans sa logique descriptive. Tout en noir et blanc, le dessin et les gravures font de « Perpendiculaire au soleil » un véritable objet d’art. Les seules touches de couleur apparaissent dans les œuvres de Renato McGirth que l’autrice reçoit par la poste.


A titre très personnel, l’auteur de ces lignes a moins été touché par ce récit autant qu’il ne l’espérait. Est-ce dû au fait qu’à un moment, Renaldo semble se recroqueviller sur lui-même, peu disposé à laisser éclater son émotion ? Le filtrage discutable des courriers, hallucinant et odieux par les motifs invoqués (« images racistes non autorisées » quand il est question d’un portrait d’un militant des Black Panthers), n’a pas dû contribuer à fluidifier l’échange de façon sereine. Entre les retours à l’envoyeur et la censure qui ne veut pas dire son nom, Cuny a dû recourir à des stratagèmes incroyables, tels l’amputation de ses images évoquant l’histoire du racisme aux USA ou la contre-culture afro-américaine.


« Perpendiculaire au soleil » est une œuvre qui sans nul doute fera date, méritant sa place dans toutes les médiathèques scolaires et municipales. D’ailleurs, on serait presque étonné de constater que le livre n’ait pas figuré pas dans la sélection officielle angoumoise, coutumière des productions hors normes de ce type. La bonne surprise viendra finalement de la Fnac, qui peut-être aura voulu faire amende honorable — sait-on jamais ? —, après la tentative de censure opérée l’an dernier contre le jeu de société « Antifa », sous la pression de l’extrême-droite et d’un syndicat de policier.


LaurentProudhon
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le 18 mai 2023

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