Les mots ne sortent pas. L’écho se répercute, chuchote et devient sourd dans l’horizon gargantuesque qu’est l’espace. Les yeux tournés vers le ciel, l’humain ne reçoit pas de réponse évidente : les questions se multiplient et les illusions cristallisent un malaise naissant. Qui sommes-nous ? Pendant que certains rêvent de grandeur pour monter à bord d’un vaisseau les propulsant dans un voyage interstellaire, d’autres se tassent dans les décombres de bombes terroristes.


La haine, l’adulation : s’invitent dans cette danse de la gravité. Il y a comme un vide qui entoure ces phrases muettes. L’espace, c’est comme le syndrome de la page blanche. Il est tellement grand qu’il en devient asphyxiant. Mais même si le langage manque, les douleurs se font mutantes et les sentiments sont omniprésents.


Planètes, c’est un déluge de débris qui rentrent en collision avec les pensées solitaires de nettoyeurs du néant de la galaxie. Alors que l’humain se leurre dans le mirage qu’il se construit sur sa volonté à dépasser ses limites, sa condition environnementale se meurt. L’espace n’est pas qu’un simple lieu que l’on visite et que l’on s’accapare.


L’Homme, dans sa majorité voit d’un bon œil cette lévitation des technologies, mais malgré ses avancées l’humanité n’est qu’au commencent de sa perte. Mais Planètes ne juge pas : le récit s’active à dévisager les souffrances et à ériger la noblesse des émotions. La froideur face à la mort et la marginalisation de la quête des sommets devient un geste salutaire. Pendant ce temps-là, le deuil d’une sœur aimante déshumanise l’âme la plus bienveillante. Planètes malgré sa densité ne tire jamais en longueur.


Aussi sobre qu’atmosphérique, tant dans son dessin que dans ses histoires, l’œuvre déploie ses ailes et installe avec fermeté son scaphandre. Dans cette déambulation de l’espace, les protagonistes vont de planètes en planètes. De la Terre à la Lune. Et même Jupiter. Pourtant, ils ne cessent de se raccrocher à leur bonne étoile. Planètes regorge de pudeur, de regards qui se plongent dans les entrailles du passé.


De cette rancœur qui ne s’estompe pas, celle qui terrasse même le plus grand des astronautes, les souvenirs refont surface: une femme disparue, un oncle différent, un fils colérique. L'astronaute est différent sauf lorsqu’il se rend compte que l’espace n’a pas de limites, que même la plus petite parcelle d’herbe de la Terre fait partie intégrante de notre univers : un petit appartement rempli de chiens errants ou une maison familiale comme représentation du socle des retrouvailles. Mais avoir constamment la tête dans les nuages dessine une douce nébuleuse. Cette envie irrévocable de se perdre dans le cosmos s’incorpore dans l’esprit pour devenir une obsession, une araignée qui tisse sa toile et se métamorphose en maladie.


Vivre ou mourir loin de notre atmosphère est une motivation mais aussi une destinée : se perdre dans l’immensité permet aux uns d’être des légendes à d’autres d’éviter leurs responsabilités terrestres. Cette pesanteur qui achemine le plus pur des sentiments : celui d’aimer. L’amour. La distance devient un obstacle à la relation et cette funeste mélodie agrandit la solitude. La Terre n’est plus assez grande pour l’Homme : la nature elle-même n’est plus un réservoir mais se mue en simple déversoir.


La peur de l’oubli, l’interrogation de la place de l’Homme quant à sa foi en Dieu ou en lui-même. Qu’est-ce que l’existence ? Un marathon éreintant pour inscrire son nom dans les hautes sphères de son espèce ou la simple possibilité de rester éternel dans le cœur de celle ou de celui que l’on chérit même dans les tréfonds de l’espace ?

Velvetman
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le 28 oct. 2016

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