Plus loin qu'ailleurs
7.7
Plus loin qu'ailleurs

BD franco-belge de Christophe Chabouté (2025)

Une fois de plus, Chabouté s’intéresse à un solitaire, presque un marginal de notre société, qui travaille depuis une vingtaine d’années au même endroit et habite depuis 28 ans le même logement, ne croisant quasiment jamais personne du fait de ses horaires décalés.


Mais on peut être un solitaire enfermé dans une routine implacable et avoir d’autres objectifs dans la vie. En fait, notre homme ne croise que son collègue Yvan qui vient le remplacer à la fin de sa permanence de nuit, dans un parking souterrain. Et comme Yvan n’utilise pas son prénom lors de leur bref échange lorsqu’il vient le relever, nous ne saurons même pas comment il s’appelle. Ce qui n’empêche pas Yvan de manifester une réelle surprise lorsqu’il comprend ce que son collègue compte faire de ses prochaines vacances, alors même qu'il n'en a jamais pris. Soit dit au passage, ce n’est pas réaliste, puisque c’est une obligation pour un employeur de faire en sorte que chacun obtienne des congés. Mais justement, Chabouté ne vise pas spécialement le réalisme ici.


Gérer l’imprévu


Notre homme éprouve le besoin de grands espaces et d’air pur. Pour cela il compte marcher sur les traces de Jack London dans le grand Nord, intégrant un petit groupe qui parcourra l’Alaska. Il a tout prévu, préparant son aventure avec des guides soigneusement choisis. Son billet d’avion est prêt.


Sauf qu’un malheureux hasard va s’en mêler. Et quand la malchance s’en mêle, elle ne fait pas les choses à moitié. C’est le côté pessimiste de Christophe Chabouté qui fait retourner son personnage à la case départ, blessé aussi bien dans son orgueil que dans sa chair. Ainsi, il n’a pas d’autre solution au sortir de l’hôpital que de retourner dans son quartier. Mais quand on a décidé de partir, un contretemps n’arrête pas un homme vraiment motivé.


Il y a voyage et voyage


Quoi qu’il en soit, notre homme est en vacances, bien décidé à profiter de cette période. Il se trouve bloqué dans son quartier ? Qu’à cela ne tienne. Puisqu’il a décidé de voir les choses sous un autre jour, ce sera l’occasion de découvrir son quartier, lui qui n’y passait jamais qu’en coup de vent, avec comme seul objectif de rentrer chez lui ou bien d’aller à son travail. C’est bien un voyage qu’il a préparé, avec dans l’idée de faire des découvertes. Il est donc dans la bonne disposition d’esprit pour explorer. Et s’il ne fera pas de découverte extraordinaire en soi, le simple fait d’avoir du temps et d’en profiter pour regarder autour de lui va lui permettre de constater qu’il n’y a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour trouver son compte en tant qu’explorateur.


Le temps de vivre


Malgré son petit handicap physique du moment, notre homme a du temps pour observer tout ce qui l’entoure. Le temps disponible est donc bien quelque chose de fondamental et on sent que le dessinateur en fait son message premier pour cet album. Mieux, il affiche un état d’esprit qui correspond parfaitement à son personnage, en montrant qu’avec une vraie disposition à l’observation, le monde qui nous entoure prend rapidement une tout autre tournure. Un petit effort permet d’en trouver des beautés cachées, voire de métamorphoser un détail pour lui faire prendre une autre signification. C’est ainsi que, très naturellement, la couleur vient s’intégrer à cet album dont l’essentiel est dans le magnifique noir et blanc que les habitués de l’univers du dessinateur connaissent bien. Les nuances de gris ne l’intéressent absolument pas, l’illustration de couverture étant l’exception qui confirme la règle. Par contre, il exploite le contraste entre le noir et blanc pour transcender ses dessins, se contentant par moments de simples silhouettes magnifiques. Le dessin est donc un régal à l’exploration de cet album. Il faut dire que le style de Chabouté est remarquable, avec un réalisme sur les décors qui lui permet de mettre en valeur ses cadrages et ses décors, tout en faisant sentir les failles de ses personnages. Ainsi notre homme n’est évidemment pas un bavard, ce qui fait que l’album se parcourt assez (trop) rapidement, malgré ses 146 planches. On remarque au passage que même dans la rue, il faut trouver sa place. Notre homme saura se montrer intelligent pour la gagner, allant jusqu’à susciter la curiosité. Ce qui lui vaudra quelques échanges avec un autre paumé qui, lui, a fait le choix de fuir la société du profit.


Prise de conscience


Cet album n’est donc pas à proprement parler révolutionnaire, car il est bien dans la droite ligne de ce que l’auteur propose régulièrement. Néanmoins, il incite intelligemment à voir notre monde d’un œil plus attentif en prenant le temps de s’intéresser aux détails. Il se présente sous forme de chapitres tous ponctués par une courte morale, par celui qui, tout en explorant son univers habituel, en profite pour faire une véritable introspection. Nul doute qu’il ne se contentera pas de cette parenthèse et des improvisations allant avec. Il finira certainement par trouver les moyens d’aller au bout de son rêve, quoi que celui puisse lui coûter.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
8
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le 8 juil. 2025

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Electron

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