Une narration lacunaire et subtile

Bastien Vivès a souvent fait la polémique avec ses ouvrages et « Quatorze juillet » n’a pas dérogé à la règle. En regardant les multiples avis négatifs sur ce livre, j’ai été étonné. C’est en les lisant que je me suis aperçu que c’était le propos (supposé) qui gênait davantage. Sur le web, on parle de racisme, j’avoue y avoir vu autre chose. L’ensemble est coscénarisé par Martin Quenehen (et cela m’intéressait de voir un ouvrage hors des obsessions de Vivès) et est publié chez Casterman pour 246 pages.


Un policier, au fin fond de la campagne, a peur qu’un hypothétique attentat islamiste ait lieu dans le village local. Quand il rencontre d’anciennes victimes suite à un contrôle routier, il va se surinvestir sur leur vie, quitte à attiser la tension dans les cités de la ville voisine.


« Quatorze juillet » est un livre sur le traumatisme lié aux attentats islamistes. Le policier n’a pas été frappé directement, mais cela a attisé son stress, son envie d’aider, voire d’être un héros. Cette peur, cette phobie, cette islamophobie même, perturbe son jugement et le pousse à faire des erreurs. Je pense que c’est là que l’interprétation de l’ouvrage gêne. Certains y verront une lecture au premier degré, où les jeunes de cités sont islamistes et veulent faire un attentat, d’autres auront une lecture plus subtile, soutenue clairement par l’épilogue, où les musulmans sont vus comme des dangers, même s’ils ne font rien de spécial. Ainsi, le livre dénonce le racisme lié aux attentats.


L’ouvrage possède une narration pleine de trous qui en fait tout l’intérêt. Le personnage principal suit des histoires du père et de la fille, mais il ne connaît que ce qu’il voit ou ce qu’on lui dit. Les auteurs ne nous disent pas non plus clairement tout ce qu’il pense ou imagine, même si la narration permet au lecteur avisé de comprendre ses raisonnements qui mèneront à la scène finale. Le bouquin est subtil et met parfaitement à profit les capacités de dessinateur de Vivès qui maîtrise les silences et aiment les utiliser.


Au niveau du dessin, c’est du Bastien Vivès pur jus. On retrouve la puissance du trait, son côté inégal aussi. Le noir et blanc est de rigueur, les décors dessinés que lorsque c’est nécessaire. Les amateurs de l’auteur apprécieront, les autres passeront à côté. Bref, pas de surprise à ce niveau-là. Force est de constater que Vivès sait toujours autant produire certaines cases puissantes graphiquement. Quant à son sens de la narration, il est ici parfaitement en adéquation avec l’ouvrage.


Ce « Quatorze juillet » est une bonne surprise. Déçu par les scénarios des derniers ouvrages de Vivès, sa collaboration avec Martin Quenehen se révèle pertinente. Si l’ouvrage peut faire polémique, c’est par sa subtilité, par sa capacité à appuyer là où ça fait mal, mais pas à des provocations gratuites. Un bon polar, original et bien pensé.

belzaran
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le 22 oct. 2022

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