Le récit de Marvano constitue une de ces scrupuleuses reconstitutions d'une époque où la fidélité au réel historique altère assez nettement l'intérêt de l'intrigue fictive. Préfacé par un Jacky Ickx plus très jeune, l'album conte les compétitions automobiles des années 1925-1932, en Allemagne, lors de la montée du nazisme, dans un contexte d'inflation qui ridiculise la valeur du Deutschmark, et qui fait allusion aux projets hitlériens de Volkswagen.

Les modèles automobiles de l'époque, les noms des champions, les plans et les paysages des circuits, les grandes courses, les fabricants d'automobiles, les drames des compétitions, tout cela est reproduit, narré, exploité, avec un sens de la rigueur qui reflète très certainement une passion personnelle de l'auteur.

Ajoutons le réalisme des décors, aussi bien ruraux qu'urbains, les vêtements des années 1920-1930, les affiches et les chansons allemandes d'époque. Pas à dire, c'est du fignolé, de l'artisanat.

Insérer une intrigue passionnante dans ce cadre assez strict n'était pas gagné d'avance, et, à vrai dire, ce n'est pas la partie la plus réussie. A force de vouloir récupérer pour les personnages principaux des relations et des contextes historiquement réels, la fiction renâcle à prendre de la force, et on a du mal à se passionner pour ces champions, souvent d'oisifs nantis, reluqués par des filles tout aussi oisives, qui se font circonvenir par Hitler lui-même et ses séides pour que l'Allemagne deviennent une grande nation victorieuse également sur le plan de la course automobile. Les moments d'émotion humaine sont rares (tels que la reconnaissance de ce jeune coureur envers sa généreuse mécène, planches 31 et 32), et on préférera, à tout prendre, la beauté et l'originalité de certains dessins : cette manière de prendre (première vignette) de manière frontale une pointe de gazon entre deux chemins, ces moulins (planche 1), ce vieux pont italien en briques romaines (planche 28), cette vue sur le lac de Lugano (planche 6)...

On ne peut pas dire que Hitler soit rendu de manière satisfaisante (planches 4 et 15); à la limite, Goebbels fait plus vrai (planches 16, 32-33). Enfin, l'idée bizarre, dans ce monde tiré au cordeau de la rigueur, d'utiliser des prédictions fumeuses d'une voyante de foire détonne un peu. (Planches 34 et 35).

Un tel déploiement d'art et de sérieux eût sans doute porté plus de fruits dans un album franchement documentaire. On n'accroche guère aux aventures de ces pantins trop asservis à la réalité historique.
khorsabad
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le 1 oct. 2013

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