Bien entendu, après deux tomes d'intégrales légendaire, on ne pouvait pas continuer sur un miracle à l'infini. Bien qu'ici je ne suis pas déçu le moins du monde!

Je peux lire que c'est clairement un passage, ou beaucoup peuvent perdre patience et s'arrêter ici, car ce tome a un format bien à lui.


C'est un étrange moment dans la série. Un entre-deux.


D'ailleurs je ne jette la pierre à personne, puisque je me souviens très bien de ma première lecture de ce tome. Il m’avait désarçonné. Comme si on quittait la grande fresque pour plonger dans une galerie de rêves, de douleurs, d’interrogations. J’étais prêt à suivre Dream dans une nouvelle quête, à voir la suite directe de l’intrigue. Et pourtant, rien de tout ça. À la place, on m’a tendu quatre récits courts, autonomes, mais qui ont élargi Sandman plus que je ne l’aurais cru possible.


C’est un peu comme ouvrir une boîte à musique cabossée, et découvrir qu’elle contient des mondes entiers.


On commence avec Calliope, une histoire violente, dérangeante, qui met en scène une muse antique, littéralement séquestrée par un écrivain en mal d’inspiration. Ce récit m’a mis profondément mal à l’aise, et c’est voulu. C’est une plongée dans la laideur de la possession, dans la cruauté que peut engendrer la création quand elle est coupée de toute humanité. Dream y apparaît comme une figure froide, implacable, presque inhumaine.

Pourtant, c’est aussi l’un des rares moments où il semble se souvenir de ce qu’il a perdu, de ce qu’il a été. C’est un épisode sec, tranchant, presque brutal dans son déroulé. Mais nécessaire.


Puis vient Le Rêve de Mille Chats.

Là, j’ai été saisi. Un conte comme je n’en avais jamais lu et clairement un récit alternatif qui en plus d'avoir son importance dans l'univers de la série, nous emporte très efficacement sur un onirisme pur! Des chats se réunissent pour écouter l’un des leurs raconter une fable étrange, celle d’un monde ancien où les chats régnaient sur les humains, jusqu’à ce que ces derniers, par la seule force de leur rêve commun, renversent l’ordre du monde.

C’est magnifique. Minimaliste, intelligent, étrange et doux. Une histoire sur le pouvoir du rêve, littéralement. Sur l’idée que les révolutions ne naissent pas des armes, mais des récits qu’on se met à croire ensemble. C’est l’un de mes épisodes préférés de toute la série. Une poésie féline et politique comme je n’en avais jamais lue.


Le troisième récit, Le Songe d’une Nuit d’Été, est une merveille. Un sommet littéraire. Gaiman y met en scène Shakespeare en personne, jouant sa pièce devant le roi des fées et son cortège, dans une clairière hors du monde. C’est métatextuel, bien sûr, mais c’est surtout d’une finesse incroyable. La pièce devient vivante. Les personnages de fiction deviennent spectateurs de leur propre destin. Dream, en arrière-plan, orchestre tout cela comme un dieu discret. C’est une ode au pouvoir de la fiction, au pacte entre rêve et mémoire, et à la manière dont les récits survivent à leurs auteurs. Rien que pour cet épisode, ce tome mérite d’exister.


Enfin, Façade. Une héroïne oubliée de l’univers DC, Raine, recluse, brisée, incapable de vivre avec son corps transformé. Ce récit m’a fendu le cœur. Il parle de la honte, de la solitude, du masque qu’on porte quand on n’est plus regardé. Et c’est Death, encore elle, qui vient lui offrir une sortie. Un épisode court, silencieux, douloureux. Une réflexion sur le droit de mourir, sur la douceur que peut porter la fin. Une beauté triste.


Ce tome est un recueil, c’est vrai. Il n’y a pas de fil rouge apparent.

Pas de quête, pas de crescendo.

Pourtant, c’est peut-être là qu’on comprend vraiment ce qu’est Sandman.

Une cartographie du rêve. Un miroir brisé où chaque fragment raconte quelque chose de nous.


Comme nous l'avons dit plus haut... Certains lecteurs trouvent ce volume moins fort. Ils lui reprochent son absence de structure, sa dispersion, le fait que Dream ne soit pas central. Je comprends ces réserves. Mais pour ma part, c’est justement ce flottement, cette ouverture, cette respiration étrange, qui m’ont touché. Après deux tomes denses, structurés, narrativement solides, on nous offre une promenade à travers les marges.


Une façon de nous inviter à regarder ce qu’on peut faire avec ce monde, maintenant qu’il est ouvert.


Et visuellement ? C’est un kaléidoscope. Chaque épisode a son identité. Le trait se fait tantôt rude, tantôt fin, tantôt presque enfantin, tantôt expressionniste. Chaque style épouse l’émotion de son récit. La brutalité de Calliope, la grâce feutrée des chats, la féérie étrange de Shakespeare, la grisaille urbaine de Façade. On ne cherche plus la cohérence graphique, on accepte l’idée que chaque histoire mérite son propre langage.

Ce tome n’est pas là pour convaincre. Il ouvre des portes et nous rappelle que Sandman n’est pas une saga comme les autres, mais une constellation mouvante de récits, d’idées, de mondes.


À chaque relecture, je redécouvre un détail. Une réplique, une émotion qui m’avait échappée. Pays de Rêves n’a pas la puissance immédiate des tomes précédents. Mais il a cette capacité rare à s’insinuer lentement en toi, à ne jamais complètement te quitter.

C’est un interstice. Une brèche dans la narration. Un hommage à la création sous toutes ses formes.

Et surtout, c’est un rappel, limpide et nécessaire parce que dans l’univers de Sandman, chaque rêve a sa place. Même les plus courts.

KumaCreep
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le 25 juil. 2025

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