Bienvenu, voilà le pinacle de la série!

C'est ici que l'on mesure toute l'ambiguïté, toute la profondeur du rêve lorsqu’il se teinte d’identité, de souvenirs, et de douleur. Là que l’histoire d’Orphée, ce fils tragique venu d’un amour ancien, prend une place qui m’a bouleversé jusqu’à la fin du tome.


Pour le coup, la réputation de cette partie de l'intégrale n'est pas volé.


Après le tumulte métaphysique de La Saison des Brumes, on entre dans un univers plus personnel, plus intime, mais qui n'en est pas moins brutalement sincère. Le point de départ, c’est Barbie. Une héroïne ordinaire, artiste peintre, qui n’a jamais vraiment trouvé sa place. Elle incarne la vulnérabilité sourde, la question du moi face à l’image que les autres s’en font. Soudain, elle est projetée dans un rêve alternatif, un monde où elle devient "l’Errante", reine oubliée d’un territoire qui reflète ses propres insécurités et ses plaies.


Le récit se construit comme un rêve, déstabilisant, fragmentaire, rempli de reflets brisés.


Au centre de ce monde, la légende d’Orphée. Ce jeune héros tragique est invoqué au détour d’un décor, d’une prophétie, d’un chant. Et peu à peu, on comprend qu’il n’est pas seulement symbole, c’est le fils de Dream. Le fruit de l’amour entre Morpheus et Calliope. Cette révélation éclaire tout l’arc d’une lumière cruelle, ce n’est plus seulement l’histoire de Barbie, c’est aussi celle de Dream qui devra affronter ses fantômes personnels.

On nous introduit un antagoniste subtile, qui n'est pas sans rappeler le premier arc narratif qu'on retrouve sur le premier tome. C’est une menace subtile, mais d’une gravité symbolique, quand les rêves disparaissent, on perd le sens, l’histoire, l’identité.


Et enfin c’est là qu’Orphée entre en scène, enfin plus concrètement, le sommet de la saga!

Il y a chez Orphée une tristesse résignée que peu de personnages incarnent aussi justement. Ce n’est pas un martyr volontaire, ni un héros flamboyant. C’est un survivant, un survivant d’une douleur si ancienne qu’elle s’est figée en lui.

Ce fils que Dream refuse de reconnaître. Ce fils qu’il abandonne, par orgueil, par principe, par fidélité à des règles plus anciennes que l’amour. Et qui, malgré tout, revient vers lui, silencieux, fragmenté, décapité, mais vivant. Car dans ce tome, entre les failles d’un récit parallèle, Gaiman glisse l’un des moments les plus poignants de toute sa série, une réinvention du mythe de la mort d’Orphée.


C’est une scène courte, mais elle m’a profondément touché. Car elle révèle tout ce que Dream cache, tout ce qu’il nie, tout ce qu’il refuse d’être. Un père, un frère, un être faillible. Orphée, en demandant la fin, ne cherche pas la vengeance. Il demande à son père de faire un dernier geste d’amour.

Il accepte l’impardonnable, il pose les mains sur son propre fils, il le tue et il pleure...

La résonnance qu'ont eu ces passages en moi est dingue. On ne s'attend pas à autant d'humanité de la part d'un tel personnage et pourtant, lorsqu'enfin, après tous ce temps il se dévoilent... C'est tout bonnement déchirant!


C’est un choc, parce que c’est un des seuls moments où Dream montre autant de vulnérabilité, de doute, d’émotion nue. Tout le reste du tome résonne avec cette faille.


Tout cela prend place dans un volume que certains jugent mineur.


C’est vrai, Dream y est souvent en retrait. Ce sont surtout les femmes qui parlent, agissent, se battent. Barbie, bien sûr, mais aussi Wanda, Thessaly, Hazel, Foxglove. C’est leur histoire, pas la sienne. Mais c’est justement dans cette absence que se creuse l’ombre de Dream. C’est parce qu’il n’agit pas qu’on le sent. C’est parce que les rêves de Barbie sont laissés sans gardien que le monde se fissure.

C’est Wanda, personnage trans, victime des regards, des mots, des rires, qui devient le cœur moral du récit. Sa mort, injuste, banale, déchirante, son exclusion du rêve par une force cruelle et archaïque, sont autant de violences que Gaiman dénonce sans grand discours, mais avec une lucidité froide.

Même Dream ne sait que faire. Il ne la juge pas, mais il ne la sauve pas.


Alors que certains tomes nous plongent dans la fresque, celui-ci préfère l’intime. pour le coup, ça fait d'autant plus mal.

Même le style visuel du volume épouse cette fragilité. Le trait est moins flamboyant, moins épique. Il est parfois maladroit, souvent inégal, mais toujours au service du récit. Le rêve y est laid, tremblotant, comme gribouillé par une main d’enfant trop fatiguée. Le contraste avec le symbolisme limpide des tomes précédents est fort. On est dans l’impur, l’incertain.


Mais jamais le faux.


Je ne peux pas refermer ce tome sans penser à Orphée. Ce personnage qu’on oublie parfois dans la grande galerie des Éternels. Mais qui, à lui seul, incarne toute la tension de Sandman, le conflit entre les règles et l’amour, entre le pouvoir et la perte, entre le rêve et la mort. Sa mort, ici, est une fin. Mais elle est aussi un miroir.


C’est peut-être à partir de là que Dream commence à changer. À comprendre et à finir de devenir autre chose qu’un roi figé dans ses principes.

Ce tome est un deuil. Lent. Fragmenté. Injuste. Mais nécessaire.

Parce que parfois, ce n’est pas la magie qui nous bouleverse. C’est ce qu’elle ne peut pas réparer.

Pour simplifier et magnifier ce tome. C'est l'histoire d'un père qui a sessé de l'être un temps... Trop longtemps et qui n'a pas su aider son fils, à faire un deuil plus que naturel. Il faut l'avoir vécu et rien que pour ça, Sandman mérite qu'on s'accroche assez longtemps pour atteindre ce moment.

KumaCreep
9
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le 25 juil. 2025

Modifiée

le 25 juil. 2025

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KumaCreep

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