Ce tome fait suite à Nailbiter - Tome 05: Le Pacte du sang (épisodes 21 à 25, + Hack/Slash & Nailbiter) qu'il faut avoir lu avant. C'est le dernier de la série, les 6 tomes constituant une histoire complète et terminée, indépendante de toute autre Il contient les épisodes 26 à 30, initialement parus en 2016/2017, écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Mike Henderson, avec une mise en couleurs d'Adam Guzowski.


La pluie qui tombe régulièrement sur Buckaroo se transforme en neige à l'approche de Noël. Edward Charles Warren rumine des idées sombres dans sa cellule, déplorant à quel point les habitants se cachent à eux-mêmes leur médiocrité en achetant des cadeaux minables pour compenser leurs manquements. La shérif Shannon Crane vient lui rendre visite. Warren commence par lui parler de Un chant de Noël (1843) de Charles Dickens. Elle lui répond qu'elle préfère de loin Comment le Grinch a volé Noël (1957) du docteur Seuss. Assez agacée par l'attitude Warren, elle lui demande de lui dire la vérité. Il obtempère et lui explique comment il a développé un goût pour les ongles et les doigts humains, et comment il s'y est pris pour échapper à une condamnation lors de son procès.


Par la suite, Edward Warren fait une mauvaise rencontre dans les rues de Buckaroo. Nicholas Finch est aux mains d'un des responsables de la situation à Buckaroo, qui dispose d'une lampe à souder. Il se souvient quand Elliott Caroll lui a parlé pour la première fois de cette ville. Ayant atteint le point de non-retour, Shannon Crane décide de reprendre les investigations de Carroll et d'aller jusqu'au bout. Elle commence par aller voir Morty à la morgue puis Lauren Joy Burns dans son nouveau magasin de souvenirs.


Le lecteur appréhende quelque peu la lecture de ce dernier tome. Jusqu'alors le scénariste, bien aidé par le dessinateur, s'est amusé à développer son concept de départ : une ville dans laquelle sont nés 17 tueurs en série, et des mystères à chaque épisode. Il a accumulé les fausses pistes, parfois basiques (une expérimentation gouvernementale clandestine), parfois farfelues (un culte satanique), avec un décor lugubre (une ville souvent sous la pluie, et des tunnels enténébrées sous cette ville). Le lecteur se doute que la fin de la série doit contenir une révélation expliquant ce mystère et que celle-ci ne pourra jamais être à la hauteur de ses attentes, tellement les manifestations concrètes du mystère étaient savoureuses et improbables. Il sait aussi qu'en 5 épisodes, le scénariste sera obligé d'en passer par plusieurs explications forcément longues et artificielles.


Mais avant de bouder son plaisir, il commence par apprécier de retrouver cette ville et ses habitants. Mike Henderson réalise des pages dans la continuité de celles des tomes précédents. Ses personnages restent faciles à identifier, avec des traits de visages un peu marqués pour certains, à commencer par le faciès d'Edward Warren, mais aussi le visage très lisse de la Blonde. Les vêtements sont différenciés d'un personnage à l'autre, avec des caractéristiques assez minimalistes. Néanmoins dans le dessin en double page pour l'ouverture du magasin de Joy, tous les personnages donnent une impression au lecteur d'être distinct, soit par leur morphologie, leur coiffure, ou leur manteau. L'artiste utilise une approche fonctionnelle, équilibrant avec soin ses dessins pour qu'ils contiennent assez de détails, mais sans alourdir leur lecture.


Mike Henderson applique le même principe aux décors. Le lecteur doit pouvoir savoir où se situe l'action, sans que ça ralentisse sa progression. En fonction des besoins, le dessinateur dose donc la densité d'informations visuelles. Alors qu'Edward Warren s'imagine le soir de Noël avec sa femme et sa fille, la case fait apparaître le sapin de Noël décoré, Warren avec un pantalon à carreau, le camescope à la main, le canapé, la lampe avec l'abat-jour, sa fille et sa femme, les cadres au mur, et quelques paquets cadeaux dont celui qui est en train d'être mis en charpie par sa fille. Quand Warren évoque avec Crane la manière dont il stockait ses provisions d'ongles et de doigts, la case donne un bon aperçu d'une pièce lugubre et aveugle, avec quelques tuyaux de ventilation, et une demi-douzaine de victimes plus ou moins proches d'avaler leur extrait de naissance, plus ou moins intactes. À d'autres moments les arrière-plans peuvent ne rien contenir pour focaliser l'attention du lecteur sur les personnages et sur les dialogues, comme lors d'une scène d'explication dans les souterrains, uniquement habillée par la mise en couleurs d'Adam Guzowski.


Mike Henderson reste très impressionnant pour tirer le meilleur parti de plusieurs scènes choc. Il y a donc cette pièce qui sert de réserve de nourriture pour que Naibiter puisse assouvir son vice, le même Nailbiter en train de croquer goulument dans un orteil, la flamme d'un chalumeau rôtissant la peau d'un prisonnier enchaîné, des lèvres cousues par un fil, un avant-bras tranché en deux, etc. Ce dernier tome contient son lot d'horreurs graphiques comme les précédents. À chaque fois, le dessinateur en exagère un peu la représentation, sans en diminuer l'impact. Le lecteur conserve le choix de les prendre au premier degré, ou de les prendre avec un grain de sel. La capacité de metteur en scène de l'artiste ne se limite pas aux scènes les plus choquantes de par leur violence ou leur sadisme. Le lecteur a du mal à se faire à l'idée des bouq-uets de fleurs dans la chambre d'hôpital de Warren, de ce qu'ils impliquent sur ceux qui les ont envoyés. Le peu que l'on entrevoit de la boutique de la Blonde met mal à l'aise quant au chiffre d'affaire généré par la vente de produits tirant partie de la renommée de tueurs en série. La dramatisation de la séquence de test dans les souterrains confère un impact certain à la valeur positive ou négative de ce test. Par contre, les qualités des dessins d'Henderson jouent parfois contre lui. Le lecteur a du mal à croire que certains personnages très amochés dans le chapitre précédent puissent retrouver une telle vigueur, une telle autonomie motrice en l'espace de quelques minutes.


Le lecteur se retrouve vite pris dans le rythme rapide de la lecture, et dans les révélations, retrouvant la saveur qui lui a plu dans les précédents tomes. Néanmoins il guette avec appréhension le moment des révélations. Joshua Williamson mène à bien son intrigue et donne les explications attendues. Il ne se défile pas. Le lecteur ne dispose pas de moyens de prévoir qui va y passer, qui va survivre et dans quel état. Il a eu l'occasion de s'attacher un peu à différents personnages, ne serait-ce que Shannon Crane et Alice, et il ressent cette implication émotionnelle. La partie du récit qui continue la forme de fuite en avant est toujours aussi réussie. Le scénariste continue de jouer avec les attentes du lecteur en matière d'horreur. Il en utilise les conventions avec un savoir-faire consommé, avec parfois un discret clin d'œil, une touche légère d'exagération qui permet au lecteur de comprendre que ni l'un, ni l'autre n'est dupe quant à la nature du récit.


Joshua Henderson finit par effectuer une révélation complète, exposée par différents personnages en situation de danger grave et imminent. En fait le coupable, c'est…


Bien sûr l'identité du vrai coupable est révélée, ainsi que ses motivations, la raison pour laquelle Buckaroo a engendré 17 tueurs en série, et la chronologie des faits qui a mené à cette situation. Joshua Williamson mène son histoire à bien et expose les secrets du mystère, dans une explication qui tient la route. Le lecteur en ressort mi-figue mi-raisin. Il s'agit d'une révélation qui explique tout de manière logique. Il ne s'agit pas d'une révélation extraordinaire, ou tonitruante. Elle manque un peu de panache, mais elle se révèle bien intégrée aux autres solutions explorées précédemment. Si le lecteur la prend au premier degré, elle est même assez décevante par sa nature pragmatique. Il peut aussi garder à l'esprit que les auteurs ont fait en sorte qu'il sache qu'ils sont en train de s'amuser avec lui et qu'ils en ont conscience, que personne n'est dupe dans cette narration, et de son faible niveau de crédibilité. Avec ce point de vue, l'explication n'en devient pas plus formidable, mais elle est ramenée à ce qu'elle est vraiment, un artifice narratif qui a permis de générer le voyage étonnant et horrifique des précédents tomes, et le suspense l'accompagnant. Enfin ils ont l'élégance de terminer avec un épilogue qui rappelle l'existence de ce jeu narratif entre créateurs et lecteurs, sur la base de la survie improbable d'un personnage.


L'appréciation du lecteur de ce dernier tome dépend fortement de ce qu'il en attendait. Pour commencer, il bénéficie de 5 épisodes supplémentaires à la narration similaire au 5 premiers tomes pour un plaisir de même nature. S'il a investi beaucoup d'espoir dans les révélations sur le mystère de la ville de Buckaroo, il risque de connaître une déception du fait de leur nature pragmatique, et manquant d'originalité. S'il ne conçoit ce moment que comme un point de passage obligé à l'intérêt relatif, sa déception sera moins importante, et il pourra apprécier à sa juste valeur ces péripéties supplémentaires au premier degré, ainsi que le commentaire qu'elles constituent sur le genre de plaisir que procurent les conventions du genre horrifique.

Presence
7
Écrit par

Créée

le 8 févr. 2020

Critique lue 78 fois

1 j'aime

Presence

Écrit par

Critique lue 78 fois

1

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime