Millet, Dali, Giroud. Autopsie d’une mise en abyme.

On connaissait le talent et l’ingéniosité féconde de Frank Giroud, scénariste, entre autres, de l’excellente série du Décalogue. On le découvre ici… chef cuisinier !!! Excellemment servi par José Homs (auquel il faudrait consacrer un article entier pour rendre justice à la formidable modernité de ses dessins), L’Angélus nous livre une recette qui achèvera de convaincre tous les réfractaires à la bande dessinée. Car il s’agit bien ici d’une petite friandise que l’on ne se lasse pas de déguster. Ils ne m’en voudront pas, je vous livre la recette :

-Prenez deux ingrédients de base, deux ressorts dramatiques : la mise en abyme et le syndrome de Stendhal.

-Frappez le héro de ce mal (surcharge émotionnelle liée à une œuvre d’art) et désorientez-le complètement à la vue du chef d’œuvre de Jean-François Millet : L’Angélus (1857). C’est le point de départ de cette bande dessinée : Clovis, antihéros moderne, à la vie personnelle et professionnelle morne et insipide, va voir sa vie chamboulée par cette épiphanie.

-Bouleversez-le au point de lui faire changer radicalement de vie, de métier, de personnalité. Obsédez-le avec cette toile, transformez-le en maitre ès pictural. Trouvez-lui des liens avec le grand Salvador Dali qui, à l’image de Clovis, a su voir au-delà du palimpseste de Millet pour mieux en décoder le message secret.

-Tracez des parallèles entre le passé familial de Clovis et celui de l’auteur de La Tentation de Saint Antoine. Amenez le héros à percer les mystères de son enfance trouble et de ses zones d’ombre inexplorées.

-Saupoudrez l’histoire d’une idylle délicieusement improbable. À mesure des recherches sur son propre passé et sur la peinture de Millet, Clovis s’entiche de la très sexy prof d’arts plastiques de son fils. Un fils rebelle, en proie à une crise d’adolescence dont Clovis fera les frais. Mais L’Angélus (la BD, le tableau ?) reste cet agent "mutagène" et salvateur qui métamorphosera TOUTE la famille de Clovis.

-Affligez le héro d’une grave maladie que seul un rebondissement inespéré – un deus ex machina – pourra sauver. Et profitez-en pour rajouter du mystère au mystère : n’en dites pas trop sur l’identité du bienfaiteur.

-Recouvrez le tout de cette mise en abyme. Propulsez le lecteur au cœur de ce voyage artistique. Hypnotisez-le par l’entremise de Clovis, héros de cette œuvre du neuvième art (L’Angélus, la bande dessinée de Giroud et Homs), lui-même hypnotisé par cette œuvre du troisième art (L’Angélus, la peinture de Millet) et troublé par ce « voyage » (syndrome de Stendhal).

Et comme toute friandise, vous n’aurez pas besoin d’appétit pour savourer le tout.

On en redemande !