Ce tome est le premier d’une série qui en compte huit, regroupés en deux époques, cycle Hiérus Halem (tomes 1 à 4), cycle Nomade (tomes 5 à 8). Sa première édition date de 2007. Il a été réalisé par Jean Dufaux par le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte cinquante-deux planches de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte d’introduction rédigé par Jean Dufaux en août 2007 explicitant la nature de la série, exposant la période et l’objet des huit croisades historiques, évoquant la croisade des Innocents (1212, entre la 4e et la 5e croisades), pour boucler sur l’ombre du Qua’dj. Dans la note en bas de page, il remercie Michel Moure et l’édition première de son Dictionnaire encyclopédique d’Histoire en huit volumes.


Il est dit que le traître Osarias se rendit à la palmeraie d’Amli Kerma. Il espérait y trouver la Lumière des Martyrs. Dans un désert de sable, Osarias arrive à la palmeraie et descend de son cheval. Alors qu’il s’apprête à entrer dans le bâtiment, il est interpelé par une voix. Un groupe de quatre bédouins lui déclarent que ses prières ne seront pas entendues. Le combat s’engage et il tue ses quatre assaillants. Sar Mitra reste en retrait à l’abri des regards ; il ne participe pas au combat et attend qu’il se termine. Il sentait que son heure n’était pas encore venue. En quoi son instinct ne le trompait pas. Osarias pénètre alors à l’intérieur de la mosquée et il constate la présence d’une lampe posée à même le sol en son milieu. Il en déduit que c’est bien ici, elle a déposé la lampe, il suffit de patienter.


Et Osirias s’enroula dans les prières qui permettent au temps de passer sans trop de cruauté. Il attendit. Se détachant des instants qui creusent… Du soleil qui ronge… du sable qui engloutit… De la mémoire qui oublie. La lampe, elle, continue de brûler. Et Sar Mitra patienta également. Jusqu’à ce qu’enfin… Celui qui précède comprit que sa mission était terminée. La cavalière descend de sa monture et se présente : son nom est Syria d’Arcos. Elle lui demande s’il l’attendait. Il répond qu’il a dégagé le chemin. À l’intérieur de cette mosquée, une lampe brûle. Il suppose que c’est pour elle. Elle l’interroge pour savoir s’il attendait quelqu’un d’autre. Il répond qu’il n’a pas de souhait à émettre. Même s’il croyait rencontrer un guerrier aguerri qui ne craint pas les démons. Elle rétorque qu’elle est ce guerrier, en douterait-il ? Sa réponse : qui est-il pour douter ? Elle pénètre dans la mosquée et une voix lui demande si elle vient pour son père. Elle répond qu’elle vient pour son père et pour l’honneur de son nom. Son interlocutrice se présente : Elysande, la Lumière des Martyrs, celle que Syria espérait rencontrer en ces lieux, car elle a quelque chose à lui demander. Syria explique qu’elle veut délivrer sa famille de la malédiction qui pèse sur elle. Elysande continue ; elle connaît cette malédiction. L’un des aïeux de Syria s’est lié avec le Qua’dj le démon qui rampait au pied de la Croix. À présent, sa famille craint que le sang de la Bête ne coule en eux, ne les affaiblisse, à l’heure ou Grégoire d’Arcos, le père de Syria, se prépare à mener une bataille décisive.


Un titre relativement énigmatique évoquant une croisade (sans S), et ce que le lecteur suppose être un nom propre, Simoun Dja, sans savoir à quoi il s’applique, si ce n’est que le premier mot renvoie à un vent violent, chaud et sec, des régions désertiques du Sahara. Les premières pages semblent bien se dérouler au temps de l’une des huit croisades, douzième ou treizième siècle, mais l’événement décrit n’a pas de fondement historique, et évoque des éléments surnaturels. De même, le vocabulaire employé semble avoir été inventé pour la série, avec le dessein de ne pas être contraint par l’historicité de termes réels. Le lecteur comprend bien que Hiérus Halem correspond à Jérusalem, que le Qua’dj doit s’entendre comme le Diable, ou encore que le terme X3 correspond à une variation sur le mot Christ. Il découvre en cours d’épisode une structure ayant la forme d’un cube noir avec des poutres extérieures dorées évoquant la Kaaba, même si un personnage le qualifie de Saint-Sépulcre. Il comprend alors mieux les propos de l’introduction du scénariste, en particulier le principe de transformer l’Histoire en légendes, en rêveries, en oublis et en variations. Rêveries qui mènent à écrire ses propres histoires et qui poussent l’auteur, à présent, à entreprendre une croisade bien différente des autres, même si elle en est le reflet obscur, le dessin hors du texte.


Ayant un peu mieux cerné la démarche du scénariste, le lecteur profite plus de sa lecture. Il fait l’expérience que la fluidité de la narration visuelle permet de lire les images au premier coup d’œil. L’artiste sait doser la densité d’informations visuelles avec une réelle habileté. Son approche descriptive se place souvent sur le terrain de la bonne forme, quelle corresponde à un élément de taille importante comme une construction, des dunes ou un cheval, ou d’un détail comme les ornementations d’une parure ou le liseré d’un vêtement. S’il prend le temps de regarder ces éléments plus longuement, le lecteur constate que l’artiste concentre son effort sur l’apparence plutôt que sur la finition. Le saint-sépulcre est abrité dans une construction de grande hauteur à laquelle le dessinateur a donné une architecture spécifique avec des arches et un dôme circulaire. Quand il regarde de plus près les ornementations, le lecteur voit qu’il s’agit de motifs un peu lâches évoquant vaguement des déliés arabisants, mais sans motif rigoureux et répété, et très éloigné de la calligraphie. Les dunes présentent de belles formes, mais sans logique de formation par les vents ou les plissements de terrain. Les petits grelots décorant le voile qui recouvre le dessus de la tête de Syria d’Arcos ont une forme sphérique sans détail de leurs attaches ou assemblage.


Pour autant, la narration visuelle s’avère variée et consistante. Le metteur en couleurs effectue un excellent travail, jouant sur les teintes et leurs nuances pour habiller chaque forme détourée, rehausser son relief, évoquer l’ambiance lumineuse. Il rehausse certaines surfaces un peu ternes avec les dorures et leur éclat. Il prend soin de se fondre dans les traits encrés, sans les supplanter par des couleurs trop éclatantes. Ainsi, il apporte de la consistance aux pierres des murs, aux toiles des tentes, et il habille les arrière-plans dans les cases composées d’un gros plan sur la tête d’un personnage en train de parler. L’artiste varie la taille de ses cases en fonction du plan de prise de vue qu’il a conçu pour chaque scène. Il utilise régulièrement des cases de la largeur de la page pour donner plus d’ampleur à un environnement comme le désert sans fin. Il réalise deux dessins en pleine page (42 & 43) pour montrer les deux armées, celle du sultan et celle du seigneur d’Arcos se ruant l’une sur l’autre. Le lecteur découvre que ces deux pages en vis-à-vis se déplient, pour, une fois ouvertes, offrir une séquence d’autant plus spectaculaire qu’elle est construite sur quatre pages (44 à 47), côte à côte pour un très grand format panoramique.


En gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une variation sur les croisades historiques, le lecteur se demande comment le scénariste va les utiliser. Il conserve donc le principe d’une nation européenne, la France même si elle n’est pas nommée, qui se rend dans un pays étranger pour reprendre le contrôle d’une ville sainte. Le seigneur âgé doit décider s’il veut livrer bataille contre l’armée du sultan, ou sursoir. Il écoute ses conseillers, doit déplorer la défection de son genre Gauthier, comte de Flandres, époux d’Élénore d’Arcos, amoureux de Syria, la sœur de cette dernière. Toutefois il peut compter sur l’engagement Robert, duc de Tarente, qui est amoureux d’Élénore d’Arcos, et il est poussé par le primat de Venise qui lui assure que telle est la volonté de Dieu. Le lecteur reconnaît là des conventions du genre historique et des manigances qui s’exercent à proximité du pouvoir. Dans le camp opposé, le sultan Ab’dul Razim règne visiblement sans craindre d’opposition, son peuple et ses soldats lui obéissant aveuglément. Comme souvent dans ses œuvres, Jean Dufaux introduit une dimension mystique. Il ne s’agit pas simplement de la Foi et de la ferveur religieuse : il ajoute un mystérieux individu, Sar Mitra, qui ressuscite à deux reprises, une femme, Elysande, qui assure la fonction de la Lumière des Martyrs. Il y a ce miroir capable de montrer ce qu’il y a derrière la peau, derrière le regard, de déceler le visage du Qua’dj derrière les apparences, l’honneur usurpé, la prière hypocrite. Ces éléments cristallisent à la fois les tourments intérieurs des personnages principaux, et apparaissent aussi comme des phénomènes arbitraires qui échappent au contrôle des êtres humains.


Les auteurs ont pris le parti de ne pas faire œuvre de reconstitution historique, mais plutôt de sonder la nature et les ramifications ou le sens d’une croisade. Ils établissent visuellement un monde proche du début du deuxième millénaire dans une région désertique saharienne, avec des personnages habités par leur mission, mais aussi leurs conflits intérieurs de valeurs morales. L’intrigue repose sur une croisade, des croyants, la ferveur religieuse, la justification d’accomplir la volonté de Dieu. La composante religieuse est atténuée au profit d’une dimension mystique. Le lecteur assiste à la première bataille dans cette guerre de religion. Il ressent ce premier tome comme un premier acte qui appelle les suivants pour constituer une histoire satisfaisante, et également comme le constat que les camps en présence agissent avec la conviction d’accomplir la volonté de leur dieu. Or comme l’indique le scénariste dans son introduction, Dieu, là-dedans, compte les morts. C’est une besogne sinistre. La guerre n’en permet jamais d’autre.

Presence
8
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le 15 juil. 2023

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