The Bugle Call semble appartenir au genre un peu délaissé de la dark fantasy. On y rencontre Luka, un garçon de 14 ans qui tient le rôle de clairon dans la bande de mercenaires de son père adoptif. Luka subit sa vie plus qu'il ne l'apprécie, et rêve d'échapper à son quotidien sordide en devenant ménestrel… mais une bataille qui tourne mal met en évidence sa mystérieuse capacité à donner une forme aux sons pour guider les troupes.
Sur le plan graphique, le manga bénéficie d'un trait dynamique, propre mais pas trop, parfois un peu maladroit. Le dessinateur n'hésite pas à expérimenter avec les codes de la BD et à sortir des cases pour permettre au lecteur de visualiser les pouvoirs les plus ésotériques de ses personnages, ou à passer en vue de dessus quand ça se prête à l'action. Ces effets ne sont pas gratuits, ils sont toujours en parfaite adéquation avec les scènes concernées, ce qui les rend d'autant plus impactantes. De X-Men à Elden Ring en passant par Fire Punch, certaines influences sont évidentes, mais tout est bien digéré.
Côté scénario, les rebondissements sont surprenants et bien amenés, on sent que Mozuku Sora sait où il va et qu'il n'est pas en train de nous balader en repartant de zéro à chaque nouveau chapitre. Chacun des camarades de Luka a droit à son petit arc de développement et évolue au contact du héros. On est d'autant plus investi dans ce qui leur arrive qu'on les sent un peu en danger, les auteurs ne montrant aucun scrupule à assassiner brutalement les sympathiques personnages secondaires.
À sa sortie, le manga a été comparé à Vinland Saga et à Berserk : la ressemblance est bien là, mais pas tant dans la forme que dans le fond, car The Bugle Call est avant tout une série qui parle de la guerre, au niveau stratégique mais surtout au niveau humain. Ça tient beaucoup à son héros, Luka. Avec l'âge et apparemment les aspirations du héros de shonen typique, il est limité par la sombre réalité de son monde, n'ayant jamais rien connu d'autre que sa troupe de mercenaires.
Le pouvoir qu'il se découvre lui sauve la vie, seulement sa double nature (une sublimation de la musique, mais aussi un outil d'asservissement) maintient le garçon dans le statu quo : faire la guerre lui donne les moyens concrets de se rapprocher de son rêve, mais le rend aussi de plus en plus indispensable à son camp, de plus en plus impliqué dans ce conflit qui n'était pas la sien quand il n'était que le clairon d'une bande sans envergure. Parallèlement, Luka s'ouvre aux autres en créant des liens avec ses camarades de bataille, mais le ”pouvoir de l'amitié” ne lui est d'aucune aide pour atteindre son but, au contraire… Pour protéger ses amis, qui ne se battent pas à ses côtés mais sous ses ordres, il doit se compromettre moralement et s'impliquer d'autant plus.
En conséquence, ses victoires militaires ne sont jamais entièrement perçues comme des succès, et c'est peut-être ce qui fait la fraîcheur de ce manga… Il montre la guerre comme un engrenage, quelque chose d'horrible même pour les gagnants, même pour ceux qu'elle ne blesse pas physiquement, ce qui n'est pas si courant que ça. La violence n'est pas omniprésente, mais elle survient régulièrement, et parfois de façon très viscérale, ce qui fait que même dans les passages calmes, elle ne se laisse jamais vraiment oublier.
Amateurs de dark fantasy, laissez donc le cadavre grouillant de Berserk reposer au fond de sa fosse, le genre n'est pas mort avec Kentaro Miura.