(Critique sans spoiler)
Après les événements de la saison 2, on imagine mal l'histoire de Kaiji se poursuivre. Mais c’est bien mal le connaître : incapable de donner une direction à sa vie et de se reprendre en main, le loser squatte chez son complice de la saison 2, Sakazaki, dont il a plus qu’abusé de l’hospitalité. Sans emploi, ses journées se résument à paresser et sortir avec l’affreuse fille de Sakazaki qui s’est follement éprise d’amour pour lui (ZAWA ZAWA). Bref, ça ne va pas fort lorsque deux hommes en noir apparaissent : les camarades de Kaiji de la saison 2, les « 45ers » qui avaient formé front uni pour regagner leur liberté.

Ca ne va pas tellement mieux pour eux : travaillant dans un casino illégal, leur patron, un escroc de première, leur a extorqué une belle somme. Pour se venger, ils ont besoin d’un gars avec du sang-froid pour être le prochain invité du patron du casino dans une soirée paris, et de tricher, afin de pouvoir lui extorquer jusqu’à 50 millions de yen, avec un peu de chance. L’idée séduit Kaiji, et c’est ainsi qu’une longue et atroce soirée va commencer. Parce qu’évidemment, ça ne sera pas aussi simple.

Ce qui dérange en général avec la partie 3 de Kaiji, c'est le fait que ce soit un jeu de Mah-jong. Beaucoup ne connaissent pas les règles, et ont peur de ne pas pouvoir comprendre le déroulement de l’épreuve. Pour du Mah-jong classique, ça aurait été sûrement vrai, mais Kaiji et son adversaire, Muraoka, jouent à une variante très simplifiée, les 17 pas / le terrain miné, où les deux adversaires commencent à une pièce de la victoire, et doivent se débarrasser de leurs pièces restantes une à une sans donner à l’adversaire la pièce dont il a besoin pour gagner.

Evidemment, celui qui ne connaît pas les règles du Mah-jong ne connaîtra pas les combinaisons gagnantes que peuvent assembler les joueurs, mais la partie la plus importante du jeu, à savoir, se débarrasser de ses pièces, est expliquée en détail par le narrateur. Et surtout la plupart des stratégies ne se limitent pas au Mah-jong lui-même, les rendant accessibles à tous. L’auteur a réussi à aller loin, très loin, à partir d’un concept semblant très limité. Ca doit être la partie de Kaiji la mieux écrite à ce niveau là, les stratégies utilisées sont géniales. D’ailleurs, je conseille aux lecteurs de faire attention à tous les détails dès le début, parce qu’il y a beaucoup de foreshadowing.

Plus que les stratégies en elles-mêmes, cette partie se démarque par son ambiance, particulièrement sombre, même pour du Kaiji. Il faut dire que la mise en scène la met très bien en valeur : la disposition des cases, les points de vue, la progression des dialogues, tout cela contribue à accentuer l’immersion. On déforme les visages des personnages à l’extrême, on prend plusieurs cases pour faire un gros plan sur leurs expressions. On ressentait déjà la souffrance de Kaiji pendant les deux premières saisons, mais c’est encore plus le cas ici. Son corps et son esprit sont poussés à bout, chaque particule d’énergie en est extraite. Et ça n’est pas non plus une balade de santé pour son adversaire, Muraoka.

Parlons-en de Muraoka, tiens. C’est tout simplement le meilleur antagoniste de la série. Assurément un des plus gros fils de putes que la Terre ait porté. Il joue la comédie comme pas deux, avance des énormités de manière convaincante, arrondit les angles dès que le besoin s’en fait sentir. Il trompe son adversaire et une fois que celui-ci s’en rend compte, il joue avec ses nerfs, lui place le canon directement sur la tempe et recommence à le baratiner. C’est un psychopathe de première mais en même temps quelqu’un de réaliste qui pourrait très bien être votre voisin. C’est un sceptique de première, prudent jusqu’au bout et un habile menteur, bref, une machine à tuer : oubliez Hyoudo et Tonegawa. Muraoka fait presque aussi mal au lecteur qu’à ce pauvre Kaiji qui est comparé -à juste titre- à un soldat qui doit traverser un champ de bataille en passant d’abri en abri, évitant les balles et les mines. Une situation si extrême, si insupportable, que ce soldat va parfois se tenir debout exposé aux balles, amorphe et vidé.

Et on en vient à ce qui est le plus impressionnant dans cette partie, la lutte de Kaiji tout au long de celle-ci. L’auteur n’a pas dérogé à son habitude de glisser des commentaires ou des critiques sociales sur des thèmes assez divers, tels que l’humanité, la confiance, la communication, la léthargie, la gestion d’une crise, etc. L’univers est plus sombre, plus cynique que jamais, et le personnage de Kaiji n’en est que plus intéressant. S’il reste le loser qu’il a toujours été, il a gagné en expérience et en maturité pendant les deux premières saisons.

Pour ce qui est des points négatifs, le début du jeu est assez laborieux, ennuyeux. Il faut lire une dizaine de chapitres pour que ça décolle vraiment, mais à partir de là ça ne fait que monter en puissance. Il est aussi difficile de garder en tête les combinaisons gagnantes des personnages si on ne connaît pas le Mah-jong, il faudra donc garder ouvert dans une autre fenêtre le guide qui montre les mains gagnantes du Mah-jong, fourni par le traducteur, FKMTkrazy. Ou lire certains chapitres en diagonale.
A noter qu’à partir du moment où le jeu commence vraiment, il vaut mieux ne pas trop s’arrêter de lire pour une immersion maximale, et, pourquoi pas, avec l’OST de l’anime en fond ( https://www.youtube.com/watch?v=KSt-vqZ--BU&list=PL598242CEC86BCB85&index=21 ) qui va bien avec.

Bref, la partie 3 de Kaiji est pour moi la meilleure. Plus laborieuse que les autres mais aussi plus profonde, plus intéressante, elle prend le lecteur aux tripes, le bouscule, le dégoûte. Souffrance, jubilation, désespoir, scrupules, l’humain est, comme souvent chez Fukumoto, dépeint à la fois sous son meilleur et son pire jour.
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le 30 déc. 2014

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