Toujours accro aux rockers des années 1955-1965 (blouson noir, banane profilée en pipe-line, évoquant un canon de tank scotché sur le sommet du crâne des personnages), Margerin-le-gentil tempère l’agressivité braillarde de cette secte dopée aux décibels électriques, en nous offrant, dans ce recueil, un panorama sur la vie de Tutti Frutti, rocker dans l’âme.

Gentil rocker ? L’oxymore se porte bien, cette année ! Pour nous le faire ingérer, Margerin recourt à la convention des contes de fées : le nouveau-né, futur rocker, voit se pencher sur son berceau une méchante fée qui, contrariée de n’avoir pas été invitée à l’évènement, détourne les dons musicaux du chiard dans la direction du rock ! Et le tour est joué ! Ce procédé permet de noyer la prétendue violence rockeuse dans un décor rose et bleu de magiciennes infantiles, de ne pas se poser la question des origines de cette violence, et de débarrasser Tutti Frutti de toute responsabilité quant à ses choix de vie (page 6), ses goûts et ses mœurs : il sera rocker parce que... c’est son karma ! Ou presque.

A partir de là, Margerin, qui n’a jamais été un génie du scénario, nous livre par épisodes bien scrupuleusement chronologiques la vie de Tutti Frutti : ses premières révoltes, sa première fugue, sa première guitare, sa première répète avec ses copains dans l’appart’ de ses parents. Il a le sens du rythme, et les paroles de ses chansons sont en français, ce qui nous ramène bien 60 ans en arrière (page 7). La chute du récit est assez marrante malgré tout.

Le goût rétro de Margerin pour des émotions d’enfance ou de jeunesse non renouvelables se manifeste dans l’habileté des décors, des formes, des modes : la chambre de Tutti Frutti (page 4) ressuscite les armoires à glace (un peu passées de mode), l’électrophone avec cylindre de disques en attente, un poste de radio style années 1950-1960, la collection de porte-clefs ; ses parents osent encore le vaisselier – exposition d’assiettes, ainsi que les papiers peints à grosses rayures verticales, déjà de saison vers 1900 ! (page 5). Et la veste panthère ferait bien rigoler aujourd’hui (page 9).

D’autres récits complètent le recueil :

• Raoul, qui, lors d’un repas avec des amis, explique pourquoi il méprise toutes les destinations touristiques éventuelles, en nous ressortant tous les pires clichés dépréciateurs qu’avaient les Français très moyens sur l’étranger à l’époque ; on y relèvera trois allusions aux aventures de Tintin (pages 12 et 13) et une à celles de Spirou (page 15).
• Flipo (dix ans, à vue de nez), qui porte le même nom que la dulcinée de Tutti Frutti, vient semer le désordre chez un copain qui bosse (pages 18 et 19), ou dans la salle d’attente d’un vétérinaire (pages 20 et 21) ;
• Robert, qui fait le tour de tous les foyers de téléspectateurs afin d’effectuer un sondage (occasion de montrer une galerie assez conventionnelle de caricatures sociologiques face à la télévision) ;
• Raoul (pas le même que celui cité ci-dessus), décalque du « Danger Public » dans un album de Manu, est un chauffeur de taxi toujours grommelant contre le comportement des autres usagers de la route, mais il faut voir comment il conduit !
• Plus originale, mais tout aussi fragmentée et énumérative, la vie d’un chien adopté successivement par des maîtres issus de milieux très divers, occasion de petites caricatures savoureuses (encore une allusion à Tintin, page 41) ;
• le même principe (flashs très brefs de passages d’un personnage dans des contextes sociaux très variés) se retrouve dans les souvenirs de petits boulots (très enjolivés) que Fernand raconte à son fils.
• Quant à Georges, mari fainéant, il n’en perd pas une pour laisser tout le boulot à sa femme Josette, qui ne proteste même pas !
• Enfin, Albert Dublanc, instituteur, redoute très fort le jour de la rentrée !

La partie la plus substantielle de cet album réside donc dans la critique sociale des comportements divers, absurdes, égoïstes, inconséquents, voire dangereux, sur lesquels chacun d’entre nous pourrait mettre un ou plusieurs noms, contenus dans ces récits.

Mais l’âpreté de cette critique est restreinte par la rondeur benoîte des visages et des bouches, la quotidienneté des situations, et le côté artificiel des anecdotes, qui se succèdent aussi vite que les bonnes blagues un peu vaseuses entre copains.
khorsabad
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le 24 juin 2013

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D'autres avis sur Tutti Frutti - Frank Margerin présente, tome 8

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