N’ayant qu’une culture lacunaire de la bande dessinée, s’arrêtant aux Astérix et Tintin, je ne saurais critiquer légitimement la forme c’est-à-dire le dessin en lui-même. Alors je ne traiterais que du fond.


Que dire si ce n’est que tout cela est vrai. Toutes ces amertumes, ces envies, ces frustrations sont réelles. En cela, il faut féliciter la BD pour cette retranscription honnête des péripéties du moins des aléas sentimentaux des rejetés. Il n’y a aucun fantasme, seulement l’évidence d'une tragédie humaine : l’inégalité. Bien entendu, l’économie en tête de liste mais quid du physique ? Il est pour ma part tant de raison de croire que ces deux inégalités sont égales tant elles sont discriminantes et violentes. Pauvre ou laid, le chemin est long. Bien des études ont démontré le privilège des Adonis et des Aphrodite sur de nombreux points (Effet de halo). Salaire, reconnaissance, justice, réseau, cercle, affection, sexe, etc. Tant de barrières pour ceux qui n’ont pas été chanceux à la loterie génétique.


Il y a ici une véritable violence symbolique, terme attribué à Bourdieu sur des sujets économiques et sociaux. Ici cette violence, elle est physique. Le physique est un capital comme un autre après tout, il y a des riches et des pauvres (bien entendu, tout comme l'argent, il y a une graduation). Qui n’a jamais été l’instigateur, le témoin ou la victime de ces mots :


« T’es gentille », « T’es marrante », « T’es drôle », « T’es quelqu’un de bien », « Tu trouveras une personne aussi bien que toi un jour, je n’en doute pas », « Tu manques de confiance en toi », « Sois naturelle »


Bien évidemment cela s’applique autant au masculin qu’au féminin.


Tant de phrases et d’expressions pour n’évoquer que la même chose : « Tu ne me plais pas ! ». Une violence que le laid doit se résoudre à accepter. Comme le précise la BD, la laideur est la grande perdante des années passées, absente au cinéma, dans la publicité, dans la mode, partout elle est invisible. Tout cela dès la naissance n’a que pour conséquence le conditionnement de notre cerveau. Comment pourrait-on en vouloir à une jeune fille de préférer un garçon adoptant les traits des standards de beauté actuels plutôt qu’un autre ? Après tout, elle n’a vu et lu que ça depuis sa naissance. Le mythe du romantisme bille en tête, du prince charmant, qu’il soit transcrit par des mots ou par des images ne laisse aucun esprit indifférent.


Cela étant, il y a un problème majeur. L’homme est désigné comme le mal du récit. Il est question du patriarcat qui serait responsable du culte de la beauté chez les femmes. Pourtant, et c’est bien là paradoxal, je trouve que la BD est trop gentille avec les hommes. En effet, l’homme est présenté comme un dominant, il choisit qui, quand et où. On a l’impression que c’est un peu un droit de cuissage moderne : je viens, je prends et je pars. Même si la responsabilité du patriarcat dans le culte physique des femmes est indéniable aux yeux de l’histoire, les auteurs semblent être trop passéistes, du moins être anachroniques. Rappelons que le récit prend place dans les années 70-80 jusqu’à nos jours. Or la libération sexuelle de la femme date des années 50-60 par ailleurs les femmes travaillent depuis des années et ont acquis un certain nombre de droits leur accordant une indépendance économique similaire aux hommes. De fait, c’est accorder à l’homme beaucoup trop de privilèges du moins plus qu’en réalité.


« Il n’y a pas de beauté des laides », argument bancal en nous imposant l’exemple de Gainsbourg qui malgré sa – je cite – laideur plaisait aux femmes. Cela serait sans rappeler le statut du dit personnage qui était un interprète et musicien émérite (on est assez éloigné de l’homme moyen). En vérité, il n’y a de beauté des laids ! Tout court. Rien de plus. Homme ou femme, garçon ou fille, tous sont logés à la même enseigne. Vous êtes laids, votre vie sentimentale ne sera pas aisée.


De fait, j’aurais attendu plus de cruauté de la part de Bégaudeau, que cette BD reprenne la thématique d’Andromaque : A aime B qui aime C qui aime D qui aime E qui est mort. Ce que je veux dire, c’est que malgré ses difficultés, notre personnage principal Guylaine fut aimée d'un homme quelconque qu’elle finisse par rejeter inconsciemment tout comme elle fut rejetée par tant d’autres. Cela aurait été la cerise sur le gâteau, le comble de la médiocrité de lire : « Je suis laide malgré tout je ne peux me satisfaire d’un laid ». Comme il est dit dès le début « Dans la portée de chatte de mon oncle, j’avais choisi le plus mignon. Et alors comment s’était senti le chaton pas choisi ? S’était-il senti puni et donc coupable ? Tous à notre échelle nous étions les agents de la tyrannie de la beauté. Je préférais un chaton à un autre. Je préférais les cochons d’inde aux rats ». On ne peut que regretter l’absence d'une partialité intelligente dans le traitement de l'homme qui aurait rendu l'ouvrage que plus appréciable.


En amour, il n’y a ni méchants ni gentils, seulement des attirances réciproques ou unilatérales.

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le 14 déc. 2021

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