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Je te tue, tu me tues… La spirale mortelle prend fin ici pour moi.

Ce tome est le treizième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Il comprend les chapitres 118 à 127. Par rapport au tome précédent, le lecteur éprouve un petit regret car les pages d'ouverture du chapitre 122 ne sont pas reprographiées en couleurs.


Musashi Miyamoto a versé le premier sang sous les coups de Baiken Shishido. Les épisodes 118 à 125 sont consacrés à ce long affrontement entre ces 2 combattants, sous le regard de Rindo (et de Matahachi, caché à proximité). Musashi se retrouve face à un adversaire qui maîtrise une arme, contre laquelle il n'a pas l'habitude de se mesurer. Le combat se déroule comme d'habitude : quelques coups portent, le sang coule, les combattants s'observent entre chaque phase d'attaque. Le récit revient une ou deux fois dans le passé pour montrer comment Kohei Tsujikazé en est arrivé là.


Les chapitres 126 & 127 sont consacrés à la jeunesse de Kohei Tsujikazé : de la perte de sa mère, à son embrigadement dans la bande de voleurs de son frère, jusqu'à ce qu'il apprenne le nom de Takezo Shinmen.


Dans le tome précédent, Takehiko Inoué avait réussi à briser le rythme de voyage - nouveau combattant - observation – combat, en introduisant une séquence d'escalade de paroi rocheuse. Étrangement, le lecteur reste sous l'impression de ce cycle rompu, alors même qu'il est en train de recommencer, avec ce combat contre Baiken Shishido.


Certes, il y a de nouveau une période d'observation avant le combat (dans le tome précédent), ainsi que de nombreuses pauses entre 2 attaques, mais en même temps le rythme n'a rien à voir. Musashi se retrouve face à quelqu'un qu'il a déjà rencontré, il est sous les yeux de Rindo, une gamine, et l'enjeu dépasse largement la question de savoir qui est le meilleur.


Alors même que l'histoire personnelle de Kohei Tsujikazé est placée en fin de tome, le lecteur en sait déjà assez sûr lui (et il en apprend suffisamment sur Rindo pendant les 8 premiers chapitres) pour voir ces autres enjeux. Comme dans les tomes précédents, le lecteur ressent pleinement qu'il est en train de lire un manga, pas une bande dessinée franco-belge, ou un comics américain. Takehjiko Inoué utilise à plein les spécificités des mangas, à commencer par leur importante pagination. Si un affrontement doit durer 100 pages, rien ne s'y oppose.


De fait le lecteur apprécie ce type de lecture où les pages se tournent rapidement, où il peut voir chaque détail, où il ressort repu par une narration dans laquelle l'auteur a pu prendre le temps de tout montrer. Cette lecture aboutir à un ratio surprenant entre le nombre de pages conséquent (environ 200 pages), la rapidité de lecture (un quart d'heure environ), et la densité du récit. L'attention du lecteur a été attirée par de nombreux détails qui finissent par former une toile d'une grande ampleur et d'une grande richesse. Cette sensation de lecture se trouve encore accentuée par le faible nombre de phylactères, le nombre de mots réduits, et de nombreuses pages (et séquences même) dépourvues de mots.


À nouveau l'habileté de la narration visuelle et son efficience laissent le lecteur sans voix. Il retrouve bien les dispositifs visuels habituels : gros plans sur les visages fermés des adversaires en train de s'observer, suite de cases aboutissant au coup porté, lignes de force pour accentuer l'impression de mouvement, case représentant un instant figé pour montrer le sang s'échapper de la blessure, cases découpées en trapèze pour accentuer le mouvement d'un personnage, sang giclant de la blessure sous l'effet de la pression artérielle, etc.


Pourtant ces images stéréotypées racontent une histoire toute en nuances. La maîtrise technique de l'artiste y participe : choix des angles de vue, textures des troncs d'arbre, représentation des détails (tous les maillons de la chaîne de 8 mètres sont représentés), ondulations des cheveux (que l'on devine un peu sales, et qui sont mal peignés) qui accompagnent le mouvement des personnages, minutie qui pousse à représenter chaque brin d'herbe séparément. Le lecteur peut même constater que Takehiko Inoué (et ses assistants) a fait des progrès pour que l'implantation de ces herbes folles soit moins régulière et plus conforme au hasard naturel.


En termes de narration visuelle, le lecteur peut aussi apprécier le découpage de chaque séquence. Le combat est à couper le souffle de bout en bout. Dans les 2 derniers chapitres, il y a une séquence onirique dans laquelle Kohei Tsujikazé imagine qu'il se laisse dévorer par des charognards et que ses restes viennent nourrir la terre, comme s'il était absorbé par la nature, époustouflant. À l'unisson de l'histoire, le chapitre 125 se termine avec une page presque noire, rendant de manière visuelle l'aboutissement des pensées du personnage.


Takehiko Inoué ne s'autorise que 2 licences poétiques. Comme dans le tome précédent, Rindo bondit de rocher en rocher à une hauteur défiant les capacités physiques normales. Lors du combat, Kohei Tsujikazé fait preuve d'une précision quasi surnaturelle, dans le maniement de sa faucille à chaîne (surtout si l'on garde à l'esprit la longueur de la chaîne, entre 6 et 8 mètres).


En lisant ces pages, le lecteur a déjà en mémoire les tomes précédents, avec ces cycles de combats, avec la connaissance a priori des différentes phases, de la structure du déroulement d'un affrontement. Takehiko Inoué raconte bien un combat au premier degré, mais le lecteur guette en même temps les différences avec les précédents qui seront la marque de la progression (ou dans les mots de Musahsi, de l'amélioration) du personnage principal. Il se rend compte que ce combat est bien plus que cela, beaucoup plus qu'une simple progression.


Takehiko Inoué mêle le regard de Rindo, celui de Matahachi, le développement de la relation entre Rindo et Kohei Tsujikazé pour former un tableau aux multiples niveaux de lecture. Il y a bien sûr l'idée de progression dans les capacités de combattant de Musashi qui apparaît au premier plan : il apprend à se battre contre un adversaire maniant une arme différente du sabre ou de la lance. Il y a un niveau de lecture qui correspond au destin de Kohei Tsujikazé, enfermé dans la violence de sa vie, condamné à toujours se battre pour tuer ses adversaires. Ce cycle de la violence comprend un deuxième niveau, celui de Rindo qui n'a jamais connu d'autre exemple que des adultes s'entretuant. Ainsi Kohei Tsujikazé reproduit les mêmes comportements vis-à-vis de Rindo que ceux qui l'ont conduit lui-même à devenir un tueur.


Pour Kohei Tsujikazé et Rindo, la dimension tragique de leur vie est que sa valeur ne se mesure qu'à l'aune de leur capacité à tuer, ce qui les enferme encore plus dans une vie où seule compte la mort de ceux qu'ils croisent. À encore un autre niveau, il est possible de considérer ces 2 individus comme ne sachant s'exprimer qu'au travers de l'usage de leurs armes (la faucille à chaîne). Ils ne communiquent entre eux que par le biais de l'apprentissage de l'utilisation de cette arme. De toutes ses manières, donner la mort constitue le centre de leur vie.


Le lecteur note également que dans ce tome la comparaison avec le règne animal revient en force, avec des cases consacrées à une toile d'araignée, à une tique, à une guêpe, à des corbeaux, à un loup. À nouveau l'humanité d'un personnage se mesure à la distance qui le sépare du comportement d'un animal, distance souvent nulle. Par cette juxtaposition, Takehiko Inoué montre à la fois que l'être humain reste très proche du comportement animal, mais aussi que l'animal est beaucoup plus en phase avec sa nature profonde, avec la place qu'il occupe dans l'ordre naturel des choses.


À encore un autre niveau, le lecteur observe le comportement de Matahachi. Il voit les efforts que ce dernier fait pour essayer de faire quelque chose, pour essayer d'exister malgré ses défauts, alors même qu'il a constaté qu'il n'atteindra jamais le niveau de Takezo Shinmen. Le drame de cet état de fait se trouve encore accentué quand Takezo Shinmen estime qu'il n'a rien accompli, qu'il est toujours aussi médiocre, qu'il n'a pratiquement pas avancé sur le chemin de l'amélioration personnelle, ce qui rend encore plus dérisoire les médiocres efforts de Matahachi, encore plus tragique son incapacité à progresser dans la voie qu'il s'est fixée.


Ces différents niveaux de lecture s'entremêlent de manière harmonieuse, dans un récit presque dépourvu de texte, ce qui atteste de l'habileté narrative de l'auteur. Avec ces différentes approches, le lecteur constate que Takehiko Inoué a réussi à faire sien le roman d'Eiji Yoshikawa pour en livrer son interprétation, aussi pénétrante que l'original. Il se rend également compte que le cycle mécanique des combats successifs est brisé, et que Miyamoto Musashi s'est ouvert à d'autres considérations que la simple victoire au combat. Il a constaté de visu l'inanité de la spirale de la violence et des tueries, sa progression logique en une succession de tueries sans fin, jusqu'à ce que mort s'en suive. Il y a là un changement de paradigme qui augure d'un autre regard sur la vie. Comme Kohei Tsujikasé, Miyamoto Musahsi veut survivre pour accomplir autre chose, tout en ayant conscience que sa valeur d'homme se mesure à sa capacité à tuer. Lui aussi doit trouver une échappatoire à ce paradoxe.

Presence
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le 12 juin 2019

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