Ce tome est le premier d'une trilogie qui propose une version du personnage, indépendante de toute autre, ne nécessitant aucune connaissance préalable. L'histoire est parue d'un seul tenant sans prépublication, initialement en 2016. Le récit a été écrit par Grant Morrison, dessiné et encré par Yanick Paquette, et mis en couleurs par Nathan Faibairn. Il s'agit du premier tome d'une trilogie dont le tome 2 est paru en 2018, et le 3 en 2021, réalisés par les mêmes créateurs. La collection Earth One propose également une nouvelle version de Superman (par JM Straczynski & Shane Davis), Teen Titans (par Jeff Lemire & Terry Dodson), Batman (par Geoff Johns & Gary Frank), Green Lantern (par Gabriel Hardman & Corinna Bechko). Le tome se termine par 10 pages d'études graphiques de Paquette.


Il y a trois mille ans de cela, Hercule se tient debout ayant revêtu la coiffe du lion de Némée, avec Hippolyta agenouillée devant lui dans la boue, enchaînée, au milieu des cochons dans leur enclos. Hercule est ainsi en train de l'humilier devant les autres amazones qui sont parquées dans un enclos fermé par des grilles métalliques. Il pleut, et Hercule écrase le visage de la reine dans la boue, d'un coup de pied. Elle implore Aphrodite de la prendre en pitié. Celle-ci lui répond dans le secret de son esprit et lui intime de reprendre possession de sa ceinture, que Hercule porte à la taille. Elle parvient à lui subtiliser pendant qu'il continue à se vanter à haute voix. Tirée par un coup de chaîne, elle se relève et se colle à Hercule, en feignant la soumission. Elle l'étrangle avec la chaîne qui l'entrave, toujours devant les amazones, et brise ses chaînes par sa seule force physique. Elle ceint la ceinture d'Aphrodite et se jette comme une tigresse sur les soldats qui accourent. Les ayant mis à terre, elle libère ses sœurs, et c'est le carnage. Puis elle prend la décision d'emmener son peuple dans une terre sans homme, protégée par une barrière magique.


Trois mille ans plus tard, la société des amazones prospère sur Themyscira, une île quasi paradisiaque, habitée uniquement par les amazones. Depuis le balcon de son palais, la reine Hippolyta assiste au retour de sa fille Diana, à bord d'un vaisseau volant invisible. Elle regrette de devoir présider à son jugement. Sa conseillère Nubia lui confirme que c'est le souhait même de Diana qui s'est soumise sans discussion. Effectivement, celle-ci descend de son vaisseau et elle est aussitôt entourée par un groupe d'amazones armées qui lui passent des chaînes pour entraver ses poignets, ainsi que dans un collier en cuir. Diana déclare à haute voix qu'elle se soumet à l'autorité, ainsi qu'au jugement car elle sait qu'il changera le monde pour le mieux. Les Moires ont été convoquées pour y assister et elles sont présentes : Atropos, Clotho et Lachésis. Les amazones se sont assises sur les gradins de l'amphithéâtre et Diana est dans la fosse, toujours enchaînée. Deux amazones pénètrent à leur tour dans la fosse, portant le lasso de vérité sur un coussin. Diana s'en saisit de sa propre volonté car elle a bien l'attention de dire toute la vérité. À l'incitation de sa mère Hippolyta, elle commence : tout a débuté la nuit précédant la Lune de Chasseresse, et le festival de Diana. Elle s'était rendue au temple de la guérison, avec une biche blessée dans les bras : Dindra s'était jeté dans le vide depuis une falaise et elle venait pour la guérir avec le rayon pourpre.


C'est un événement : Grant Morrison, scénariste réputé pour son iconoclasme et sa grande culture de l'univers partagé DC dispose des coudées franches pour écrire sa version de Wonder Woman. En plus il est associé à Yanick Paquette, un artiste connu pour sa capacité à dessiner des femmes au physique avantageux, et à la séduction irrésistible. Du coup, il est possible de considérer cette histoire sous plusieurs facettes. Au premier degré, le scénariste se retrouve à raconter une nouvelle fois les origines de l'héroïne. C'est parti pour un mélange de mythologie grecque, de société vivant en autarcie dans une ile inaccessible, d'architecture hellénique, de jeunes femmes immortelles en jupette, et de découverte du monde patriarcal. Diana est une jeune femme (enfin tout est relatif, elle a quand même trois mille ans d'âge), et elle a décidé de désobéir à sa maman en participant à un tournoi qu'elle gagne facilement grâce à ses capacités physiques extraordinaires. Elle gagne un aéronef invisible qui lui permet de ramener Steve Trevor (un pilote militaire américain) à New York pour qu'il soit soigné. Après ce premier séjour dans le monde des hommes, elle doit revenir pour accepter le jugement de ses sœurs, puisqu'elle a brisé les traditions et la loi. Effectivement, l'artiste s'amuse bien à représenter ce monde peuplé de femmes, et leur princesse d'une stature imposante, et d'une présence aussi rayonnante qu'assurée.


Il ne fait aucun doute que l'artiste a pris un grand plaisir à dessiner cette histoire, restant impliqué du début jusqu'à la fin. Diana est absolument magnifique sur la couverture, une femme forte, avec une moue un peu déconcertante, semblant juger la situation de haut, présentant des formes épanouies, sans pour autant pouvoir être réduite à un simple objet, du fait d'une personnalité rayonnante, enchaînée et pourtant ni victime, ni sans défense, un véritable paradoxe. Le lecteur peut même se demander comment les responsables éditoriaux ont pu valider une image aussi ambigüe, pour une collection prestigieuse servant de vitrine aux personnages pour atteindre le public des librairies non spécialisées. La scène d'ouverture présente des dessins ouvragés, avec un découpage de planche comme s'il s'agissait d'une scène représentée sur un vase antique. À plusieurs reprises, Paquette conçoit un découpage de planche original : les bordures de cases en frise géométrique, ou en lasso de la vérité, ou encore en ruban étoilé. Il varie la forme des cases en fonction de la nature de la séquence : des bandes traditionnelles, ou bien des cases triangulaires ou en arc de cercle, pour accompagner le mouvement, ou mettre en valeur une case plus importante.


Il est également visible qu'il a passé du temps pour concevoir l'aspect visuel des amazones et de leur société, s'inspirant beau coup de la version de George Pérez, avec une forte dose d'imagerie hellénique. Le lecteur ne doit pas s'attendre à une reconstitution fidèle à la véracité historique. Le dessinateur s'inspire de l'architecture et des tenues vestimentaires pour les arranger à sa sauce, en fonction des besoins du scénarios. Il en conserve l'aspect spectaculaire et solide tout en bloc de pierre, et il prend de grandes libertés pour varier les tuniques. Il reste ans le même registre de description détaillée à New York, avec une plus grande fidélité à la réalité moderne. Il insuffle une vie remarquable dans les personnages, avec une sensibilité faisant apparaître les nuances de leur caractère. Diana est magnifique de bout en bout, une femme superbe, avec un costume qui met en valeur sa plastique. Dans le même temps, son assurance indique qu'il ne s'agit pas d'une naïveté, ou d'une provocation, que c'est sa façon d'être, sans arrière-pensée sexuelle. La nature l'a dotée d'un corps de rêve et elle ne le cache pas. En outre, c'est un élément culturel chez les amazones : entretenir son corps et le montrer sans fard, ni fausse pudeur. Les pages montrent bien que les autres amazones ont la même attitude. Le lecteur observe les autres personnages, et sourit en voyant cette version de Steve Trevor, sourit encore plus en voyant l'exubérance de Beth Candy, très fidèle à l'esprit de la version originelle. D'une manière générale, il est sensible à la bonne humeur qui plane dans le récit : pas de mélodrame, des personnages qui sourient régulièrement, et des étoiles qui viennent décorer quelques cases entre enthousiasme et touche humoristique.


L'admirateur du personnage est aux anges : Morrison & Paquette respectent l'esprit de la version d'origine, avec l'inclusion des éléments les plus décalés comme les kangas (les animaux de monte sur Paradise Island), l'avion-robot invisible, et les entraves sous forme de chaîne. De ce point de vue, la vision originelle et originale de William Moulton Marston (1893-1947) & H. G. Peter (1880-1958), créateurs du personnage en 1941, est totalement respectée. Tout ce qui fait de Wonder Woman une superhéroïne qui ne peut pas être réduite à un cliché est présent dès cette couverture qui envoie des signaux dissonants, entre une femme en petite tenue et enchaînée, et une maîtresse femme. Le lecteur peut d'ailleurs s'amuser à considérer le récit sous un angle féministe hommage sincère à ses créateurs et à relever les éléments qui en relève Une société de femmes qui s'épanouit sans intervention de mâles, une femme violée qui étrangle son violeur, un homme (Steve Trevor) sauvée par une femme, une femme qui soulève un tank et tient une armée en respect, une jeune femme en surcharge pondérale à la bonne humeur inaltérable avec une assurance qui force le respect et qui remet tout le monde à sa place. Dans ce récit, les hommes sont à peine plus que des figurants, et pour Steve Trevor un vrai faire-valoir. Les auteurs prennent un malin plaisir à montrer Diana proposant à Steve Trevor de passer un collier en cuir comme signe de soumission.


Grant Morrison reprend donc ces éléments hétéroclites qui demandent une suspension consentie d'incrédulité significative. Comment les amazones ont-elles pu réaliser des avancées scientifiques jusqu'à construire un aéronef invisible, un rayon guérisseur, tout ça en autarcie et sans aucune industrie ? Une civilisation cantonnée sur une île peut-elle vraiment prospérer sans risque de dégénérer faute d'interactions avec d’autres communautés ? Le système de croyance peut-il rester figé sans aucune remise en cause pendant 3.000 ans ? Sauf que le cœur du récit est ailleurs. Morrison et Paquette rendent un hommage sincère à une héroïne qui a enduré les décennies, et aux bizarreries d'origine intégrées par son créateur, et surtout racontent l'histoire d'une jeune femme qui a soif de changement, qui est en rébellion contre l'autorité de sa mère, qui voit qu'elle peut apprendre des autres, qui veut braver les interdits, dont la culture se heurte à une autre très éloignée d'individus considérés comme l'ennemi éternel, etc. Cette facette de l'histoire est délicieuse, une jeune personne obligeant les adultes à reconsidérer leur immobilisme, leur stase culturelle, leurs certitudes absolues.


Le lecteur entame ce tome avec une attente assez élevée pour de tels auteurs. Il découvre une bande dessinée très facile à lire, avec des dessins jolis, une mise en page vivante avec des découpages originaux, et une héroïne magnifique. En fonction de sa sensibilité, il accepte plus ou moins bien les éléments les plus particuliers de la mythologie de l'amazone, et le principe d'une société immuable vivant en autarcie. Néanmoins, il se laisse facilement entraîner par les très belles pages, et par la tonalité assez détendue du récit. Petit à petit, il tombe sous le charme de cette jeune adulte (tout juste 3.000 ans) qui rue dans les brancards, qui pense par elle-même, qui ne prend pas tout pour argent comptant, qui fait preuve d'une forme d'ingénuité du fait de sa culture, mais aussi d'une grande force de caractère.

Presence
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le 9 mai 2021

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vive_le_ciné
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For Truth can wound more deeply than the sharpest blade.

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