Kubrick ne se contente pas de nous attraper par les cheveux pour nous claquer son essence artistique à la gueule, c’est le travail d’un artiste tellement confiant qu’il ne recherche pas à nous surprendre avec un « one shot ». Il optimise chaque séquence à sa sauce et la laisse à l’écran assez longtemps pour nous laisser le temps de la contempler et la faire vivre dans notre imagination. Assez rare pour les films de science-fiction, 2001 : L’Odyssée de l’espace ne se préoccupe pas de nous exciter, il cherche avant tout à faire croître notre admiration et notre crainte pour l’espace.


La partition originale d’Alex North reste encore aujourd’hui comme une référence pour les mélomanes cinéphiles, ces musiques n’apparaissent à aucun moment pour souligner l’action, ni pour nous donner des indices émotionnels, Kubrick s’en sert de manière descriptive, il cherche à apporter un sérieux aux visuels et captiver le spectateur sur des séquences longues. Nous assistons à un ballet spatial, la valse de Johann Strauss (The Blue Danube) nous accompagne à l’amarrage de la navette, la scène est volontairement lente et totalement dépourvue d’action. On nous demande de contempler le processus, de remettre en cause les principes de la relativité temporelle et ainsi, grâce à une logique particulière, le matériel spatial se déplace lentement en suivant le tempo de la valse. Il y a également une exaltation dans la musique qui nous aide à sentir la grandeur du processus.


Kubrick se satisfait de laisser libre court à notre imagination et ne dévoilera jamais son message, plusieurs interprétations sont possibles. Après de nombreuses tables fracassées à la vue de cette fin totalement incompréhensible nous sommes en droit de nous demander ce que ce génie a souhaité symboliser. Les fameuses notes de Kubrick « Thus Spake Zarathustra » dès l’ouverture du film incarnent de manière audacieuse l’ascension de l’homme dans des sphères réservées aux dieux, on ressent le froid, cette liberté effrayante, un espace magnifique.


Le film de Kubrick est presque unique en son genre, l’association des musiques avec ses images améliore grandement la qualité des scènes, on se sent plongé dans un océan céleste, planant au-dessus du monde, libéré de toute pensée, comme lorsque l’on écoute le dernier album de PNL.
Quel message essaie-t-il de passer ? D’une manière philosophique, qu’elle est la place des hommes dans l’univers ? Ce film ne s’apprécie pas comme étant un divertissement comme un bon film de science-fiction conventionnel, il nous force à réfléchir.


Le film se divise en quatre parties, dans la première, les singes préhistoriques sont confrontés à un monolithe noir mystérieux, ils apprennent alors que les os peuvent être utilisés comme des armes et ainsi découvrir leurs premiers outils. Les surfaces quasi parfaites du monolithe laissent penser au singe que cette réalisation a été produite par un être plus intelligent et que cette intelligence, peut être utilisée pour façonner les objets du monde.


L’os est jeté en l’air et se dissout dans une navette spatiale, nous faisons alors la connaissance du Dr Heywood Floyd, en route vers une station spatiale et la lune. Cette phase est « anti-narrative », aucun dialogue n’est vraiment concret concernant sa mission, au lieu de ça, Kubrick nous montre avec minutie le vol de l’équipage, la conception de la cabine, les détails du service en vol, les effets de la gravité nulle …


Puis vient la séquence d’accostage, avec sa valse, amène à l’émerveillement des visuels, nous participons à une conférence énigmatique parmi des scientifiques de plusieurs bords. L’homme se retrouve à nouveau confronté à un monolithe lors de la séquence sur la lune, comme les singes, et en tire une conclusion semblable : Cela doit avoir été créé par une intelligence supérieure. Le premier monolithe a mené à la découverte d’outils, le second conduit à l’emploi de l’outil le plus élaboré de l’homme : le vaisseau spatial, en partenariat avec l’intelligence artificielle de l’ordinateur nommé HAL 9000.


La vie à bord est présentée comme une longue routine sans évènement, des contrôles d’entretien et des parties d’échec avec HAL. Ce n’est que lorsque les astronautes craignent que la programmation de HAL ait échoué que le suspens commence à s’installer. Pour HAL, la mission est « tellement importante que rien ne doit la compromettre ». Les astronautes tentent d’élaborer un plan dans une navette, mais HAL arrive à lire sur leurs lèvres, la manière dont Kubrick édite cette scène nous montre que HAL est le maître de la situation. Depuis toujours la confrontation IA vs humain existe, HAL semble réellement ressentir des émotions « j’ai peur », « laisse-moi une deuxième chance ».


La dernière scène est difficilement explicable, on se retrouve à bord d’un voyage sonore, lumineux dans lequel l’astronaute vol à travers les étoiles, une autre dimension, un autre endroit, inexplicable … A la fin du voyage, on le retrouve dans sa chambre, dans laquelle on le voit vieillir, manger ses repas sereinement, dormir …


En somme, 2001 : L’Odyssée de l’espace est un film que l’on peut qualifier de « film muet », il y a très peu de conversation, et une grande partie du dialogue n’existe que pour montrer aux gens de parler les uns aux autres. Paradoxalement, le seul dialogue contenant des sentiments vient de HAL, quand il plaide pour sa « vie » et chante « Daisy ». Le film crée ses effets essentiellement à partir de visuels et de musique, il est méditatif. Il ne nous satisfait pas, le scénario est long, parfois ennuyeux, mais il cherche à nous inspirer, nous agrandir.


2001 : L’Odyssée de l’espace n’est pas un but, mais une quête. Il ne nous demande pas de nous identifier avec les personnages, il nous dit que nous sommes devenus des hommes quand nous avons appris à penser. Nos esprits nous ont donné les outils pour comprendre où nous vivons et qui nous sommes. Maintenant, il est temps de passer à l’étape suivante, de savoir que nous vivons non pas sur une planète, mais parmi les étoiles, et que nous ne sommes pas la chair, mais l’intelligence.

Clément_Mazars
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le 19 févr. 2017

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Clément Mazars

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