Dans la vie, il y a une certaine catégorie de gens exceptionnels. Ils sont parmi nous, marchent comme nous, achètent leurs petites affaires comme nous, mais on ne les voit pas. Ce sont les visionnaires. Il y a les visionnaires qui sont reconnus de l'ensemble de la population, comme Marx, Jules Verne, Léonard de Vinci, Jérôme Bosch... Et puis il y a les génies de l'ombre, les grands incompris, ceux que personne n'écoute et c'est bien dommage. Car Lucio Fulci est un de ceux-là, et à défaut d'être entendu, sa parole est retranscrite de manière indélébile au cinématographe. Et ça, c'est quand même un signe ; parce qu'ils sont bien mignons les autres là, avec leur papier et leur peinture, mais le cinéma c'est éternel ! A tel point que je me demande si je ne vais pas mettre une copie de ma VHS dans une de ces boîtes en fer blanc destinées aux générations futures.

Une voix off nous annonce au début du film qu'en 2001 (pour Lucio le futur c'est déjà du passé, rendez-vous compte !), l'humanité n'est qu'un vil ramassis de crétins se vautrant devant la télé en espérant voir du sang couler. On nous apprend ainsi que deux chaînes se disputent l'audience en organisant des émissions de plus en plus violentes. La première a pour nom WBS, la seconde... on ne saura jamais, on n'en entendra même plus parler. Première séquence : Drake apparaît comme le héros de la scène, en compagnie de quatre autres gus sur des motos. Et les cinq de se livrer un combat acharné (c'est-à-dire rouler à trois à l'heure avec quelques roues arrières, se filer ça et là un coup de pied, et passer une chute en accéléré), avant que notre héros ne se relève vainqueur. Waouh.

Mais à la direction de la chaîne, ça tonne car l'audience n'est pas encore suffisante. C'est alors qu'un bonhomme sur un écran a une idée de génie (enfin c'est Lucio qui l'a eu, hein) : faire revivre la Rome Antique et ses combats de gladiateurs. Oui car là, nous nous retrouvons à Rome telle qu'elle le sera, enfin l'était, bon bref, vous avez compris. Drake va donc être embarqué avec d'autres imbéciles pour se battre dans le « nouveau » Colisée (en fait l'ancien avec quelques aménagements).

Les défauts (sympas) de ce film sont légions. D'abord rien que dans le titre : le français, ainsi que l'italien sont d'accord pour situer l'action en 2072. Or la voix off dit bien « 2001 ». Remarquons aussi que l'Allemagne pour sa part préfère 2033 et qu'un rejaquettage anglais nous annonce 2079 !! Histoire d'embrouiller encore davantage le scénario, précisons que notre héros va se retrouver face à l'assassinat de sa femme. On nous annonce alors fièrement : « Il va se battre contre les meurtriers de sa femme ! ». Bon, jusqu'ici tout va bien. Pourtant, vingt minutes plus tard, lors d'une projection sur grand écran de sa mémoire (sic), Sarah (Eleanora Brigliadori), l'une des secrétaires, lui affirme : « Voyons regardez, ils étaient déjà morts avant que vous arriviez sur place, on a voulu vous faire porter le chapeau, vous êtes innocent ! ». Autant dire que nous nous trouvons là devant un paradoxe qui laisse penser que Lucio a dû égarer des pages de son script.

Un peu plus tard, alors qu'il arrive dans les geôles, Drake se retrouve face à ses « camarades de combat » (oui, je sais, vous allez me dire que c'était censé être de l'affrontement de gladiateur en solitaire, du chacun pour soi, mais quand je vous dis que Lucio est un visionnaire, je ne mentais pas). Puisqu'on en est là, parlons un petit peu des acteurs. Drake, donc, est un grand dépendeur d'andouilles frisé dégageant autant de prestance qu'une palourde. En chemin, il va rencontrer des tas de copains à savoir : Monk (Donal O'Brien), arborant un magnifique visage sous cellophane, mais aussi quelques vieilles connaissances nanarlandaises tels Akira (Hal Yamanouchi), Kirk (Al Cliver) et la black star qu'on ne présente plus, Fred Williamson, Fredo pour les intimes, reprenant son rôle de méchant moustachu futuriste. En 2072, il aura pour nom... Abdul le Métèque ! Si, si...

Pour ce qui est du reste du casting, nous avons droit à une belle galerie de bras cassés. Revenons un instant sur Sarah. La gentille demoiselle qui joue aussi bien qu'une endive est nantie d'une perruque blonde digne de Michelle Pfeiffer dans "Scarface". L'illusion serait presque parfaite si on ne voyait un peu trop ses sourcils d'un beau brun. Ajoutons que dans le texte, elle est « programmée pour mesurer le degré de violence potentielle de Drake ». Serait-elle un robot ? Ne comptez pas sur Lucio pour vous donner la réponse.

Un autre élément essentiel à la nanaritude de "2072 Les Mercenaires du futur" est à trouver en la personne de Raven (Howard Ross), le garde chiourme avec un look de Mr.Bison sado-maso. Je n'invente rien, il a la même tête de mort sur son képi. Son plus grand plaisir sera d'infliger toutes sortes de traitements sadiques aux prisonniers volontaires (oui, ils sont censés être volontaires) et de balancer des rayons grattés à même la pelloche sur nos héros. Signalons aussi la présence d'un super ordinateur, car un film d'anticipation ne saurait exister sans super ordinateur, qui répond ici au nom de... Junior. Ce dernier a beau être le plus grand cerveau qui existe sur Terre, à part dire « accès interdit » et « non-autorisé à répondre », il ne fait pas grand-chose.



Il faut dire que Lucio est un sacré roublard du cinéma. Afin de masquer la pauvreté de son film, il va déployer un arsenal de combines et faire passer son œuvre comme une lettre à la poste.

➡️Technique numéro 1 : l'éclairage aveuglant. On ne compte plus les scènes où une, voire plusieurs lampes sont mises face à la caméra, pour bien que nos yeux demandent grâce et ne regardent l'action que du coin de la rétine. On va donc directement à l'essentiel sans s'attarder sur l'arrière plan. Au fond, qu'est-ce qu'on en a à faire.

➡️Technique numéro 2 : la nuit. Quand il fait nuit noire, personne ne peut voir lors des scènes d'extérieur que Rome n'a au fond pas bougé, ou sur d'autres plans qu'elle est devenue la maquette que l'on peut deviner. En combinant cette astuce avec la première, c'est encore plus radical. Ainsi la quasi-totalité du film se passe dans le noir, ou en intérieur. Sur les 90 minutes de métrage, seulement 53 secondes de scène d'extérieur diurne (j'ai compté).

➡️Technique numéro 3 : l'éclairage intermittent. Il s'agit là, il faut l'avoue,r d'une technique assez éprouvante pour le spectateur qui se retrouve face à une alternance de « Jour/Nuit » complètement surréaliste. Quand les lumières ne vont pas jusqu'à devenir carrément stroboscopiques pour recréer un hologramme (un type qui s'agite avec une combinaison blanche dans une pièce aveugle, le tout éclairé par une succession de flashs).

➡️Technique numéro 4 : la suggestion. On filme un truc, n'importe quoi, en très gros plan, un bruitage foireux par-dessus et hop, la magie du cinéma s'opère. Ainsi une séquence écrite et filmée par un Lucio particulièrement en forme où Monk confie un processeur à Drake pour lui permettre de « neutraliser les champs magnétiques » (ça l'empêchera pas de détruire aussi un mur avec). Ça se passe de commentaires.

Ajoutons aussi des couleurs très jolies qui ne sont pas sans rappeler les effets artistico-déliroscopiques de Hal Needham pour "Mégaforce". Du fushia, du rouge, du rose... le futur du passé sera pourri mais coloré. Que dire des décors d'intérieur ? Ma foi, ce que l'on est en droit d'attendre de ce type de grande production. Du placos, des poutres en balsa, quelques diodes çà et là, et des figurants costumés en Stormtrooper de carnaval et c'est du tout bon. Il a quand même tapé fort sur l'éclairage le père Fulci, la note a dû être particulièrement élevée. Je ne serais d'ailleurs pas étonné que 90% du budget soit parti à la compagnie italienne d'électricité.

Le final est juste splendifique. Une dizaine de gars, d'abord sur des motos trafiquées avec de la tôle, puis sur des side-cars du même acabit (que Lucio ose filmer en gros plan, lui) réinventent en un seul coup "Ben-Hur" et ses sensations fortes. Une bataille sans merci avec moult armes en fer blanc, mannequins brûlés, écrasés et décapités, masses en mousse le tout dans une ambiance Foire du Trône la plus extrême. Le top.

Je ne révèlerai rien des cinq dernières minutes, qui, fidèles à leur tradition, constituent un grand moment de n'importe quoi. Dites vous juste que cette histoire se termine comme elle devait se terminer. Les sidekicks et les méchants sont morts et le héros a une nouvelle keupine qu'il pourra secourir ou venger lors d'un prochain épisode. Rideau. C'était "2072 Les Mercenaires du futur".

On pourra regretter l'absence d'un doublage français complètement à l'ouest (bien que sur le plan du scénario, j'en soupçonne certains d'avoir abusé de la Guiness) ainsi que quelques petits moments de flottement, mais dans l'ensemble, ne boudons pas notre plaisir, c'est une excellente cuvée. Pour l'anecdote, Lucio Fulci racontait qu'il voulait des dômes en plexiglas pour sa Rome du futur mais que le producteur avait préféré y mettre des gratte-ciels éparpillés çà et là. Chacun sa vision du futur, tout le monde n'est pas visionnaire.

Clin D'œil :
s'il présente une esthétique proche des post-nuke italiens de la même époque, avec ses omniprésentes motocyclettes 125cm3 tunées façon système D, le scénario et surtout les influences de "2072 Les Mercenaires du futur" le rangent plutôt dans la catégorie "science-fiction / anticipation". Il y a notamment un peu de "Blade Runner", pas mal de "Rollerball", et peut-être aussi du "Prix du danger" d'Yves Boisset sorti un an plus tôt (film dont Paul Michael Glaser n'oubliera pas de s'inspirer lorsqu'il réalisera "The Running Man" en 1987, très vaguement adapté du bouquin éponyme de Stephen King). "2072 Les Mercenaires du futur" se situe dans une période un peu bâtarde dans la filmographie de Lucio Fulci, une sorte d'entre-deux servant de transition un peu absurde entre ses oeuvres fantastico-horrifiques dites "première" (1970's) et "deuxième période" (1985-1991). C'est à cette même époque qu'il signe également "Conquest", film d'heroic-fantasy comme l'Italie en produisit à la pelle durant 2 ans pour grappiller quelques miettes du succès colossal de "Conan le barbare". Dans une interview accordée au magazine Draculina (Draculina N°24 de 1995, interview menée par Massimo F. Lavagnini) et disponible en français sur le site www.luciofulci.fr, Lucio Fulci évoquait "2072" en ces termes : "Je dois dire que c'est un très bon sujet de Sacchetti et ça parle de l'omniprésence de la télévision. La télévision nous harcèle jusqu'à ce qu'on devienne un héros. C'est la clé de lecture de 2072 – Les Mercenaires du Futur. Une excellente idée pour un film d'anticipation, mais je ne suis pas très satisfait du résultat. Je voulais créer une Rome du futur dans laquelle les monuments anciens étaient recouverts par de gigantesques dômes en plexiglas. Le producteur, Amati, m'a imposé les gratte-ciels. Ridicule. C'est un grand producteur, mais il a ses goûts à lui…"

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le 22 juil. 2023

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Blockhead

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