L'hystérie de la Movida, ce mouvement du cinéma espagnol signant de manière outrageuse la libération des mœurs, laisse en creux des doutes profonds. Quelle cohérence autorise cette vision, portant en triomphe les ''a-normaux'' anti-bourgeois par leur nature même ? Souvent aucune, sinon celle du vide qu'il suffit de remplir par sa logorrhée lubrique.

20 centimètres est un de ces films de la Movida jamais refermée. Tourné en 2005 par Ramon Salazar, il a été façonné autour de Monica Cervera, qui interprète Marieta, une transsexuelle non opérée dont le rêve est de se débarrasser de vingt centimètres particulièrement consistants. La nature est farceuse. Problème 1, Raul, le livreur issu de Un dos tres, raffole de ces vingt centimètres. Problème 2, la réalité sociale de Marieta est peu enviable. Vivant en colocation avec d'autres marginaux (un nain, le gamin métisse de l'immeuble) dans un quartier pauvre, elle peine à ''joindre les deux bouts''.

Les amoureux du cinéma déjanté espagnol seront ravis. Difficile aussi de ne pas s'amuser sinon avec, au moins de, ce film flashy et euphorique. Salazar, auteur intégral (scénariste et metteur en scène) malmène cette Marieta en même temps qu'il la sanctifie. On voie tous ses côtés minables, y compris sur le terrain psycho-sexuel (c'est parfois digne de Dujardin des Infidèles), en plus de ses ronflements infâmes. Et puis Marieta est moche et s'il devait y avoir une raison pour douter de sa féminité, c'est bien ses traits peu subtils.

Tout ça est glauque l'air de rien. Seule l'allégresse du ton le trompe – car sinon le spectacle prend, à certains moments, une tournure sinistre. On frise la perversion voir l'animalité, devant les désirs minables et les divers désordres moraux affichés (les fausses femmes se voient enceintes, éclatent le ballon en plastique caché sous la robe et il en sort un bébé..). Naturellement ce n'est pas tant la dégénérescence le problème, car on peut tout voir et qu'il faut bien purger (et de toutes façons le film n'est pas subversif ni dans cette optique) ; c'est la laideur qui l'accompagne et puis, quand même, les objets de cette dégénérescence.

C'est une simple question de monde à soi. Celui de 20 centimètres est gay friendly mais néanmoins situé à proximité de la galaxie de John Waters. C'est une incohérence criarde que personne ne semble voir. Est-ce le mépris de ce qu'on encourage et salue consciemment qui amène à un tel écart ? Ce serait rassurant, en un sens. Mais 20 centimètres reflète cette adoration du moche, de la débauche, de l'inversion ; de la vie transformée en fête dégénérée où chacun est qui il veut. Il y a des extraits de lucidité, de grâce même qui traînent (le cameo de Rossy de Palma, oasis de recueillement) ; mais Salazar croit que la grâce est dans tout ce qu'il filme (ce plan-séquence final est censé être un instant émotion après la tempête, c'est bien ça? Oui, celui sur la vieille femme mangeant du pain ?..), or ce spectacle est celui d'un carnaval, certes pas celui de réactionnaires ou de péquenauds obtus, mais celui de beaufs anti-bourgeois. Comme ces gens croient ces termes antinomiques, ils se permettent la plus grande vulgarité.

On éprouve un certain plaisir devant ce festival de kitscheries, ce brassage de réalisme populaire et de fantasmagories narcissiques ; mais de la suspicion voir du dégoût ; et face à certains numéros (reprise de Britney Spears) ennui et légère consternation. C'est un film cousu de clichés parce qu'il est incapable d'être autre chose que déjanté ; sa dynamique ne peut déboucher qu'au non-sens. Par ailleurs, 20 centimètres veut absolument éviter le pathos et les ravages du drame. Pas étonnant s'il ne fournit rien d'humain. Les sentiments libérés d'une diva quelconque et la gouaille de marginale prolo, c'est un peu court pour faire un individu consistant.

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le 25 févr. 2014

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