Amours chiennes, le premier film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, avait marqué la naissance d’un grand réalisateur mexicain en devenir, capable d’entremêler avec fougue et talent trois existences dissemblables à l’intérieur d’un même récit mystico-social. Acclamé pour son premier essai, l’ancien DJ se retrouve au pied de son Everest artistique, l’épreuve toujours délicate du deuxième long métrage. L’homme refuse la facilité, impose un tournage aux Etats-Unis, un casting quatre étoiles et une bonne poignée de dollars. Un sujet casse-pipe à la clé: les destins enchevêtrés d’un meurtrier en quête de rédemption, de la femme dont il a brisé la vie et de l’homme à qui il a, bien involontairement, offert un sursis. Nul doute que certains critiqueront la hardiesse de ce cinéaste encore vert, qui semble déjà avoir atteint la maturité nécessaire pour symboliser les grands doutes de l’existence… Mais le résultat est là. 21 Grammes se révèle un véritable choc, une étude au scalpel des tourments de la nature humaine, un crescendo émotionnel d’une puissance rare, sublimé par des personnages magnifiques, des êtres perdus, brisés par les aléas de la vie.


LES CHOSES DE LA VIE


L’instinct maternel, la compassion, l’impossible pardon, le travail de deuil, la vie, la mort, la foi: Alejandro Gonzalez Inarritu ose embrasser tous ces thèmes à la fois et les nouer dans un même tourbillon d’images, de sons et d’ivresse. Caméra à l’épaule, le cinéaste saisit de courts fragments d’existence, en apparence éloignés les uns des autres. Avec l’appui de son scénariste attitré Guillermo Arriaga et du monteur de Traffic, Stephen Mirrione, il rompt volontairement la linéarité de la narration afin d’éviter toute surcharge lacrymale et d’épouser, au mieux, la thématique voulue. L’histoire progresse ainsi par à-coups, par instantanés captés à l’état brut. Pudique, Inarritu ne montre jamais l’accident en lui-même, ne s’enfonce jamais dans le pathos. En mettant l’accent sur les creux et les silences, il édulcore volontairement les passages obligés et douloureux de l’après et installe une ambiance presque neurasthénique, tel un songe éveillé, un cauchemar réaliste dans lequel sont piégés des gens finalement si normaux. Le spectateur est invité à recoller les morceaux, à reconstituer le puzzle, à saisir ce qui se cache derrière les faits anodins du quotidien.


REPENTANCE


Alejandro Gonzalez Inarritu évite l’écueil d’une trop grande distance théorique. A l’inverse du mécanique 71 Fragments d’une chronologie du hasard de Michael Hanecke, bâti sur une construction similaire, 21 Grammes ne manque ni de chair, ni de sang. Jack (Benicio Del Toro), Paul (Sean Penn) et Cristina (Naomi Watts) semblent étonnamment proches de nous. Ils n’ont rien des pantins habituels que propose le cinéma hollywoodien. Ils possèdent une histoire personnelle, une famille, un passé bien palpables. Les trois acteurs principaux en deviennent méconnaissables. Ils se fondent dans le paysage de cette ville américaine non identifiée. Difficile alors d’oublier les regards. Celui de Jack Jordan, au fond de sa cellule, qui rejette celle qu’il a épousé, celui de Cristina Peck qui fond dans les bras de son amant, celui de Paul Rivers, enfin, qui accepte sereinement son avenir sur un lit d’hôpital. Ils auraient pu ne jamais se connaître mais leurs trajectoires étaient vouées à se rencontrer. Et quand, au bout du chemin, ils trouvent cette paix intérieure à laquelle ils aspiraient depuis toujours, 21 grammes se glisse dans la sérénité la plus totale.

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le 10 déc. 2018

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