Mile 22, c’est 16 Blocks, mais en remplaçant un Bruce Willis alcoolique, un rappeur marrant, David Morse en méchant ripou, New York New York, et des fusillades old school par un Mark Wahlberg tout le temps en pétard, un casting de second couteaux sous-employés (avertissons les fans : Rondha Rousey ne servira strictement à rien), un cadre urbain lambda dans une ville d'Asie du sud-est qui n'ose même pas se nommer, et du boum-boum imbitable, le tout monté sur une histoire à deux balles digne de faire passer Safe House, avec Ryan Reynolds et Denzel Washington, pour du David Mamet.


Mile 22 est un désastre polymorphique et pluridimensionnel. Autant être clair, c’est le pire film de son réalisateur, Peter Berg, avec l’improbable BattleshipVery Bad Things se laissant voir avec amusement pour sa méchanceté, et Hancock étant sauvé par le couple Smith/Theron. On en attendait pourtant beaucoup, après le triplé gagnant de ses précédentes collaborations avec Mark Wahlberg (l’intense boucherie Lone Survivor, le solide film-catastrophe à l’ancienne Deepwater Horizon, et l’excellente radioscopie historique Patriot’s Day), qui laissait (entre)voir en Berg un cinéaste moins mineur que prévu... fail. Et encore plus fail qu’on aimerait le croire : alors que Battleship n'était pas si mal fichu que ça (il était juste grotesque dans son essence), le pire arrive, avec Mile 22, le pire pour un film de son genre : être mal branlé. Être encore moins réussi dans la forme que dans le fond. Les films d'action les plus mal écrits peuvent être des plaisirs coupables, tant qu'ils assurent un minimum le show hollywoodien. Or, Mile 22 a beau être écrit avec les pieds, ce n'est même pas là sa tragédie.


Ce n’est donc pas son scénario, pourtant sévèrement zélé dans la connerie. Il n’est pas question d’être contre les histoires simples et directes de protagonistes devant aller d’un point A à un point B et un point c'est tout : on a cité 16 Blocks plus haut, et on peut citer des classiques comme New York 1997 et The Warriors en plus, et des comparaisons plus évidentes nous échappent sans doute. C’est d’ailleurs pour cette simplicité que la bande-annonce nous avait accrochés. Mais quand on opte pour un postulat archi-basique, on est censé compenser avec les DÉTAILS de son putain de film, les détails qui feront la différence, comme les personnages, ou les situations. Or le scénario de Lea Carpenter, minette sortie de nulle part, et de Graham Roland, gars déjà plus expérimenté à qui l’on doit au moins quelques bons épisodes de Lost et Fringe, n’a absolument rien de ça. Tout juste un Indonésien retors mais sans relief qu’un twist de fin ne sauvera même pas rétrospectivement. Le tout enseveli sous une enfilade de clichés plus gros que les cratères de balles qui pleuvent sur les gentils. Vous aurez tous les classiques du genre : le générique d’intro à images d’archives et extraits de faux JT pour faire sérieux, les méchants qui sont de véritables tireurs d’élites lorsqu'ils doivent mettre les gentils en difficulté et ne sont soudainement plus foutus de viser juste une fois que le scénario l’exige, le soldat américain qui tue cinquante ennemis en un chargeur mais ne meurt qu’au bout d’une centaine de balles… Et malgré sa simplicité, Mile 22 parvient même à se planter dans sa narration, doté d’un début et d’une fin (à rallonge), mais pas d’un... milieu, les scénaristes ayant visiblement oublié la règle élémentaire des trois actes. Croyant peut-être que le boum-boum nous fera oublier ça. Ignorant que le chemin vers leur foutu aérodrome sera, comme l’enfer, pavé de bonnes intentions. Et puis… attendez une seconde : en parlant de moyens de locomotion, ils n’ont pas d’hélicoptères, dans cette agence secrète américaine super balaise disposant des satellites les plus perfectionnés de l’histoire, pour exfiltrer quelqu'un d'important ? Juste un petit, même avec deux pales ? Oh, well. Autant dire que le scénario ne sera pas non plus sauvé par ses quelques velléités de discours politique, Mile 22 donnant même l’impression de ne pas être au courant de l’effondrement du bloc soviétique.


Ce n’est donc pas son protagoniste non plus, le super soldat d’élite Jimmy Silva... alors qu’il a TOUT pour mettre sur les nerfs, très vite. Il y a des sales cons de cinéma qu’on aime détester. « Ah, çui-là, comment c’est trop un bâtard, j’le kiffe ». Genre : Gregory House. Des sales cons qui, dans une certaine mesure, on le DROIT de l'être parce qu'ils apportent quelque chose d'inestimable à l'humanité, ou du moins d'assez estimable. Et puis il y a des personnages qui sont juste… des sales cons. Genre : Jimmy Silva, suprême team leader en boule dès sa première scène sans que rien ne l'explique (les autres personnages se contentant de remarquer qu’il est fidèle à lui-même), et donc d’une façon qui fatigue très vite le spectateur, puisque ce dernier n’a aucune raison de lui excuser son comportement. Bien dirigé, Mark Wahlberg peut livrer des performances tout à fait honorables (il suffit de voir The Fighter et No Pain No Gain) ; lâché en roue libre dans un climat riche en testostérone, il régresse en mode « roquet de Boston », et parvient à faire d’un personnage de tête de nœud un sacré modèle du genre, une tête de nœud systématique, dans le sens complète, aboyant contre tout le monde sans même y prendre de plaisir, du personnage d’Alice (Lauren Cohan) au plus insignifiant bidasse, et sombrant à plusieurs reprises dans un ennuyeux ridicule (voir cette scène où il balance le verre d’un de ses hommes… Jimmy, dude, what the fuck).


Ce ne sont donc pas ses dialogues non plus, pourtant catastrophiques. C'est simple : une fois passé le prologue, délicieusement avare en répliques (et clairement le meilleur moment du film), la machine ne s'arrêtera jamais vraiment, cacophonie menée avec une triste conviction par Wahlberg/Silva, qui parle tout le temps... pour quoi ? Pour trois choses : a) ne rien dire, b) sortir un gros mot du type « fucking » toutes les deux phrases pour faire bien hardcore, et se la jouer. Un besoin de « claquer » aussi puéril qu'obsessif s’entend dans chaque réplique, à commencer par les siennes, le gars citant Abraham Lincoln et John Hersey, comme si ces conneries à peine capables d'impressionner un élève illettré d'un collège de Trappes allaient l’imposer au public comme le cador annoncé dans le générique. Le pire dans ce domaine arrive généralement lors des flash-forwards où le personnage témoigne auprès d’agents anonymes, incapable de laisser filer trois secondes sans débiter d’un air grave les considérations géopolitico-philosophiques les plus nazes (cf. « Une fois que l’allumette est craquée, la diplomatie, ça ne marche plus » ou encore « En fait, c'est quoi, un champ de bataille ? »). Ces demeurés de scénaristes le font même caqueter PENDANT l’opération, alors qu’il mène le convoi, comme si lui et ses potes allaient en boite, confondant une opération militaire qui cherche pourtant à faire sérieux avec la ballade en voiture de Vincent et Julius dans Pulp Fiction. Même le personnage joué par John Malkovich finira par dire un truc du genre de « Arrête ton putain de monologue, foutu maniaque bipolaire ! », comme si Carpenter et Rolland se doutaient de quelque chose. Histoire d’achever le spectateur, saoulé comme s'il venait de se « binge-watcher » tous les Fast & Furious d'affilée, les dialogues ne seront à aucun moment ponctués de la MOINDRE respiration, donnant l’impression que Berg a voulu faire son Aaron Sorkin sauce US Marines, le talent en moins, et la mauvaise idée en plus.


Ce n’est donc pas non plus son absence de character development, bien qu'elle se fasse cruellement sentir. Alors qu’un récit pareil de traversée de l’enfer avec tout l'univers contre soi, en mode Sept Mercenaires, est censé prendre aux tripes grâce à l’attachement que l’on aura pour ses personnages, le public se tape royalement de ce qui peut arriver à ceux de Mile 22. Celui d’Alice pourrait constituer l’exception à la règle, mais ce ne sera pas tant grâce à son background en plastique, histoire de garde parentale sans conséquence ni résolution aucune, que grâce à la toujours sublime Lauren Cohan (aaaah, cette première apparition dans la saison 2 de The Walking Dead, sur le porche de la maison familiale !). La vérité est que l'actrice peinera même à faire exister son personnage dès le premier acte du film, asphyxiée par les vitupérations de son « supérieur », essoufflée par ses échanges téléphoniques avec son ex-mari, et décrédibilisée à vie par une scène ridicule où elle déploie des efforts COLOSSAUX pour paraître intimidante face à Iko Uwais, et va jusqu’à s’affirmer aussi forte que lui physiquement dans un grand élan d'affirmation féministe (« I’ll fuck your up !! » ^^;)… Tout est bâclé sur le plan humain, jusqu’au moment où elle et Silva se salueront devant l’avion. On vaguement évoqué la dissémination d'informations concernant Silva dans le générique d'intro, qui n'apportent strictement rien au schmilblick (c’est donc un génie… ah bon). On peut ajouter à la liste l’élastique, modèle de fausse bonne idée : on a compris au bout de trente secondes que Silva compte sur la douleur pour rester alerte, que c’est un dur, un brut de fonderie. Du coup, on est saoulé dès le deuxième claquement. Le gars saoule. Ce n'est peut-être pas de sa faute, mais c'est comme ça.


C’est donc... ce qu’on voit à l’image qui enterre définitivement l’expérience. Ou plutôt ce qu’on ne voit pas à l’image. Quand il est sorti, Taken 3, d’Olivier Megaton, a écrit l’histoire du cinéma avec le pire travail de montage jamais effectué dans un film d’action mainstream : le moindre geste, Liam Neeson filant une tarte ou buvant un Nespresso, avait droit à trois, quatre plans différents en l’espace de quelques secondes. Il y avait même ce moment inoubliable où l’acteur grimpait un grillage : quinze cuts en six secondes. Utilité : zéro. Lisibilité : nulle. On ne comprenait rien à ce qu’il se passait, ni à qui se trouvait où, ni à où se trouvait le nord. Qu’on se rassure, le film de Peter Berg n’atteint pas ces profondeurs. L'homme a fait des films très réussis, Megaton, pas un seul. Mais le fait qu'avec son nouveau film, le premier ait rappelé à tant de cinéphiles le mauvais souvenir du second ne trompe pas : Mile 22 est le meilleur exemple, ces quatre dernières années, de ce qu’il ne faut pas faire quand on filme une scène de close-combat (cette carence de illisibilité atteint son paroxysme lors de la scène du café avec les deux bastonneuses hystériques, où l’on ne voit quasiment rien du tout, pas vraiment aidés par le contre-jour). C’est un rappel d’autant plus important en notre ère post-John Wick, où Hollywood semblait avoir bien reçu le message que le public ne veut plus se faire entuber avec des montages ultra-cut servant à faire passer des vessies pour des lanternes, et des branquignols de plateaux pour des guerriers expérimentés. Ne veut plus l’action épileptique made in Michael Bay. Atomic Blonde a compris le message, par exemple. Bien sûr, les deuxième et troisième Bourne nous ont prouvé que l’ultra-cut PEUT marcher... mais pour ça, il faut être aussi talentueux que Paul Greengrass. Et encore… même lui a fini par se planter à son propre jeu, avec son très mauvais quatrième volet. Alors, le message n’était-il donc pas passé ? Pas bien, Hollywood. Et d’autant moins acceptable que Berg s’est payé les services d’Iko Uwais, (révélé par le génial The Raid), film reconnu pour ses scènes de baston… justement sans filtre, alourdies par le moins de cut possible.


Parce que oui, il y a Iko Uwais. Et oui, il a des scènes de baston avec Iko Uwais – forcément. Et oui, elles sont aussi foirées que le reste, car signe qui ne trompe pas : on ne comprend ce que fait Iko Uwais. Bon, celle de l’infirmerie est peut-être un chouïa moins nulle, mais c’est du charcutage quand même, et du gaspillage d’artiste martial. Sérieusement, gaspiller une pointure pareille ? Le laisser chiader des chorégraphies sans doute remarquables, pour tout foutre en l’air sur Final Cut ? Sérieusement, Berg ? Si l’on ne jugeait de ses talents de réalisateur qu’à partir de Mile 22, le grand dégingandé apparaîtrait plus doué à filmer des avions de chasse qu'une élémentaire scène de dialogue en intérieur. On vous a parlé, plus haut, du manque de respiration dans les dialogues… : à croire qu'il avait envie de faire rentrer dans quatre-vingt-dix minutes un film qui devait faire au moins une heure quarante-cinq. En gros : si quelqu'un pouvait nous dire ce qu'il lui a pris sur ce coup, ce serait génial.


On aurait envie de dire qu’au moins Lauren Cohan survit au naufrage, notamment grâce à quelques belles performances physiques dans le dernier tiers. On reconnaîtra au moins à Berg de ne pas lui avoir prêtée la force physique d’un homme malgré ses fanfaronnades, son personnage ne se sortant d’une empoignade avec une armoire à glace QUE grâce à Silva. À ce moment, un des rares satisfaisants du film, on se demandera si ce dernier ne va pas enfin nous surprendre en bien. Hélas, on ne saura vraiment quoi faire d’elle jusqu’au bout : Berg n’aura même pas les couilles de montrer ce qui arrive à sa chérie, sans doute tout fier de son twist…


Nous n’avons pas écrit grand-chose à ce sujet. Un twist dans une critique qui se fout des spoilers, ça devrait le faire, non ? Pas vraiment : comme suggéré plus haut, le twist pouvait être le plus inspiré de l’histoire, il ne nous aurait pas passé le goût de ce qui a précédé. Et celui de Mile 22 n’est PAS le plus inspiré de l’histoire (on le voit arriver à cent kilomètres). Mais tout ceci s’inscrit sans doute dans un plan d’ensemble dont le public n’a encore aucune idée : vous n’êtes pas au courant ? Berg et Wahlberg ont en tête une trilogie ! Qui se poursuivra par un deuxième volet… sur lequel nous pourrons assurément compter pour nous faire oublier combien le premier était une merde ? On peut rêver. Mais on y apprendra sans doute que Lauren n'est pas morte, puisque comme l'écrivit Saint-Paul, qui ne meurt pas à l'écran, vit. Pas besoin de spectateur pour ça ? Parfait. Amusez-vous bien, les gars.


Note 1 : Le casting du film a clairement fait l’objet d’un soupçon de discrimination positive, plaçant bien trop d’actrices dans des rôles de super-guerrières (pour se faire une idée de la réalité, les femmes représentent moins de 15% des effectifs de l’armée américaine, et aucune n’a encore passé le concours d’entrée des SEALS) comme dans des rôles d’informaticiennes (cf. la petite Asiat jouée par… une chanteuse pop coréenne ? On a à peu près le même chiffre là aussi, le secteur de l'informatique et des hautes technologies en général étant un univers massivement masculin !). D’aucuns trouveront ces considérations aussi réacs que superflues. Et ce sera leur droit le plus absolu.
Note 2 : En parlant de politique, si le Hollywood « so liberal » tient tant à ce qu'on file les rôles de minorités aux minorités correspondantes (un rôle d’handicapé à un handicapé, un rôle de trans à un trans, un rôle de tueur en série cannibale à un tueur en série cannibale, etc.), comment a-t-il pu laisser Mark Wahlberg jouer un personnage d’ascendance portugaise ? C'est intolérable.

ScaarAlexander
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le 4 sept. 2018

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