Personne n’appartient à personne

Ils sont jeunes (24 ans), plutôt mignons, sympathiques et intelligents et le hasard va leur faire passer de nombreuses heures en tête-à-tête, puisque Jule (Mala Emde) accepte d’emmener Jan (Anton Spieker) dans son camping-car Mercedes, modèle 303, qui date d’une trentaine d’années (très carré de forme, volumineux, intérieur aménagé qui conserve les coussins d’origine). Elle va au Portugal rejoindre son ami, alors que lui va en Espagne à la rencontre de son père biologique qu’il n’a jamais vu.


Bien évidemment, ils ne tardent pas à tomber amoureux l’un de l’autre. Sauf que… Eh bien, le film tient pendant très longtemps sur un suspense presque simpliste : vont-ils enfin tomber dans les bras l’un de l’autre ? Principal obstacle à contourner, Jule veut discuter les yeux dans les yeux avec son ami, celui qui pourrait devenir le père de son enfant, car elle vient de découvrir qu’elle est enceinte. Elle envisage de garder le bébé. Raison pour laquelle elle est mal et a raté un examen (elle est étudiante en biologie). En fait, Jan va rapidement mettre le doigt sur une faille un peu plus ancienne de Jule en parlant du suicide qu’il considère comme un acte lâche, car s’il constitue un moyen de mettre fin à tous les ennuis personnels, il plonge tout l’entourage dans une douleur sans nom.


Résultat, Jan se fait jeter du camping-car ! Pas pour bien longtemps, car le scénario réserve un rebondissement (attendu) qui remettra Jule et Jan ensemble sur la route du sud.


Le scénario leur réserve alors de nombreuses discussions sur des thèmes qui leur tiennent à cœur et qui montrent que s’ils ne sont pas d’accord sur tout, ils adorent se livrer, échanger des arguments et se dévoiler sans pudeur, puisqu’ils vont jusqu’à parler de sexe et de sentiments. Parmi les sujets qui viennent ainsi sur le tapis, on remarque l’évolution de l’homme, ce qui fait l’humanité, les lois naturelles de l’attirance et de la séduction, la passion et l’amour. N’oublions pas le capitalisme et ses conséquences sur le comportement individuel, à moins que ce soit l’inverse à cause de la tendance naturelle de l’espèce à l’appropriation. D’où cette phrase « Personne n’appartient à personne » qui fait le lien entre deux sujets de conversation.


En fait, Jule et Jan évoluent sur un terrain dangereux pour un couple potentiel. A force de discuter librement sans donner libre cours à leur attirance mutuelle, ils risquent de s’engager sur le chemin frustrant de l’amitié. Sans compter la frustration du spectateur qui assiste à des débats certes intéressants mais intellectuels avant tout. Heureusement l’aspect filmique est présent dans la gestuelle et les échanges de regards. On sent que Jule et Jan ne discutent pas que pour confronter des points de vue, mais aussi pour le plaisir de passer du temps ensemble, se regarder, observer les réactions de l’autre. Le désir se manifeste par des occasions de contact entre les corps, etc. Et puis, le scénario et la mise en scène font en sorte qu’on sente le temps que Jule et Jan passent ensemble, la complicité qui s’établit. Quelques touches d’humour contribuent à l’atmosphère. Ils traversent de belles régions en Allemagne, Belgique, France, Espagne et Portugal. Ils profitent de paysages lumineux et s’extasient ensemble sur une plage déserte des Landes.


Dans ce film séduisant, Hans Weingartner filme une romance qui manque un peu d’originalité. Le scénario qu’il cosigne avec Silke Eggert lui permet d’aborder des sujets qui méritent le débat. Il emporte la partie avec une mise en scène qui associe le road-movie avec l’évolution des conversations et des situations. En maintenant le suspense sensuel, il captive son public. Un public qui profite avec bonheur de la justesse des prestations des deux têtes d’affiche. L’un comme l’autre séduisent par leur naturel, une certaine candeur. Quant aux personnages, ils jouent le jeu avec tact. Malgré quelques bourdes, Jan se montre patient, comprenant parfaitement que Jule ait besoin de temps, de réflexion et de se laisser aller au romantisme de certaines situations, alors que l’un comme l’autre ne pensait d’abord qu’à un objectif personnel et familial en faisant ce voyage en covoiturage. Les situations propices se succèdent sans que leurs désirs ne prennent le dessus !


Autant dire qu’à la projection lors du festival du cinéma allemand à Paris, le vendredi 5 octobre 2018, le public a applaudi chaleureusement lors du premier baiser de Jule et Jan.


Les sujets abordés par Jule et Jan dans leurs discussions mériteraient sans doute quelques approfondissements, mais on est au cinéma. Ici, le réalisateur de The edukators cherche à capter des élans, des frémissements, des idées, des réactions à chaud. Son travail vise plutôt du côté de la représentation de la vie que du côté de la littérature, le film présentant les défauts de ses qualités.


Weingartner cherche également à capter l’air du temps. S’il fait une discrète référence, à mon avis, à un autre road-movie allemand Au fil du temps de Wim Wenders avec l’attitude de Jan découvrant la plage landaise, il montre comment vivent et raisonnent les jeunes de notre époque, avec en particulier la prise de conscience du gâchis des ressources naturelles. Et même s’il évoque leurs idées, il se garde bien de parier sur leur capacité à changer le monde en profondeur. Ce qu’il fait très bien, c’est de montrer la différence de perception du monde par un regard masculin et un regard féminin. Elle croit fermement à tout ce qui va du côté de l’entraide, alors que lui considère que l’esprit de compétition constitue l’essence de l’être humain. Bien entendu, ces deux visions demandent une confrontation et des concessions réciproques, ne serait-ce que pour assumer le besoin inné de rapprochement et l’envie de construire quelque chose de durable.

Electron
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le 7 oct. 2018

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