Après une année 2017 assez riches en bons films, 2018 commence notamment avec Three Billboards, les Panneaux de la Vengeance. De quoi placer la barre très haut en ce début d'année pluvieux, puisqu'il a raflé une bon petit lot de Golden Globes.


Mildred Hayes est la mère de Angela Hayes, violée est assassinée il y a neuf mois. Depuis, l'enquête patauge complètement dans cette petite bourgade paumée du Missouri qu'est Ebbing, et la police locale, en partie constituée de branleurs notoires et de racistes à peine cachés, n'a procédé à aucune interpellation. Mildred décide alors de louer trois panneaux publicitaires sur la route qui mènent à la ville pour y afficher, noir sur rouge, trois messages ayant pour vocation de secouer les forces de l'ordre et leur inspecteur, figure très respectée dans le patelin : "Violée et assassinée", puis "et toujours pas d'arrestation ?", et enfin "Comment est-ce possible, chef Willoughby ?"


Et ces panneaux, Martin McDonagh sait les filmer correctement. Grand amateur de plans larges, le réalisateur a su capter la beauté des paysages du trou du cul de l'Amérique pour en tirer des plans très visuels, où le rouge sang des panneaux contraste avec le vert des prairies. Loin de faire dans l'exercice de style ou la profusion à outrance, McDonagh se contente de touches discrètes et d'une réalisation sobre mais soignée.


Aussi cette réalisation s'efface au profit d'un scénario très dense et riche en rebondissements. Le tout reste cohérent, mais il faut reconnaître que le déroulé semble parfois un peu rocambolesque, et que l'on pense plusieurs fois atteindre la fin du film avant d'être surpris par une nouvelle secousse. L'on frôle toujours le "trop", et certains sortiront de la salle avec le sentiment qu'on les a gavés comme une oie avant Noël. Mais il faut également souligner la justesse d'écriture, car ces événements, bien que très nombreux, ne semblent jamais hors de propos, et s'inscrivent dans une intention jusqu’au-boutiste de dérouler l'intrigue presque jusqu'à atteindre le point de rupture.


D'autant que le film brasse un bon nombre de thématiques : la mort, le deuil bien sûr, mais aussi les violences conjugales, le racisme, les dérives policières, la pression sociale, le désir de vengeance, la recherche de but et d'identité.


Car ce que Frances McDormand dépeint dans son rôle de Mildred, c'est bien une femme qui n'a plus de but dans la vie. Vendeuse dans une boutique de souvenirs, avec tout ce que ça comporte d'anecdotique, mère aigrie après le meurtre de sa fille à qui le fils en veut, séparée de son ex-mari violent, pointée du doigt par à peu près tout le monde dans la ville, Mildred erre. Littéralement. Elle s'accroche à son désir de vengeance et de vérité comme une moule à sa caillasse, déterminée, allant de sa boutique au commissariat à chez elle. Et plus qu'une vengeance, elle a besoin d'un but. La sauvegarde de ses panneaux en est un.


Frances McDormand livre un jeu parfait. Sachant être froide et aigrie, elle transcende lors des scènes où le personnage craque complètement, révélant sa tristesse et sa perdition totale.


Les autres acteurs ne sont pas en reste : Woody Harrelson et Sam Rockwell son excellents, et même les plus petits rôles comme Peter Dinklage, Samara Weaving et Caleb Landry Jones (que l'on retrouve après Get Out, quelques mois plus tôt) font tous un sans faute.


Les acteurs servent des personnages extrêmement bien écrits, tout en nuance. Aucun manichéisme, pas de grand antagoniste. Voir l'évolution des relations entre eux porte tout le film. Le chef Willoughby s'en veut de ne pas pouvoir résoudre le crime, Mildred laisse parfois son masque rigide tomber dans des moments de désespoir, et même Dixon, flic violet et raciste, trouve une forme d'accomplissement et de rédemption.


Le film parvient également à distiller un peu partout des touches d'humour qui font mouche sans jamais entacher le caractère dramatique de l'intrigue ni faire baisser la pression. Quand c'est drôle, on rit, et l'instant d'après, on est tendu comme une arbalète.


Pas étonnant que le film ait raflé des Golden Globes et enthousiasme la critique, donc. Three Billboards est drôle, dur, acerbe, puissant et maîtrisé. Si quelques uns lui reprocheront un sens trop théâtral et poussif dans le synopsis, on ne peut nier sa grande qualité d'écriture, de développement psychologique des personnages, et son extrême lucidité.


De quoi bien commencer l'année.

QuentinYuanMalt
8
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Créée

le 31 janv. 2018

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Yuan Cloudheart

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