“With liberty and justice for all...”

C’est par une séquence assez trouble, un enchevêtrement d’inserts sans connexion apparente, que débute You Were Never Really Here (hors-de-question d’utiliser plus longtemps cette traduction française aberrante). Un marteau ensanglanté, le visage de Joaquin Phoenix sous un sac plastique, les effets personnels d’une enfant… Tout cela semble figurer une sorte de jeu pervers, dressant dès la séquence initiale une ambiguïté autour de Joe, figure fantomatique absente de sa propre vie, d’où le titre original. Il y avait de quoi nous intriguer, mais la réalisatrice Lynne Ramsay prend vite le contrepied de cette première impression, insistant avec force lourdeur sur le courage et l’altruisme de son anti-héros dont elle cesse très vite d’assumer les zones d’ombres. C’est là le premier échec du film. Du personnage complexe et dérangeant promis en ouverture, Joe n’en a que l’apparence. Dans le fond, c’est un simple « justicier de l’ombre », lisse et inintéressant, payé pour retrouver des enfants tombés aux mains de réseaux pédophiles. Mais lorsque le pédophile en question est un homme politique des plus influents, la situation va se retourner contre lui.


A partir de ce point, le film enchaîne les poncifs éculés du vigilante movie, sans jamais dépasser les limites du genre. Le pitch déjà très simpliste le devient encore plus au vu des morceaux de Taxi Driver que le film régurgite sans cesse. Le vétéran traumatisé par la guerre (au Moyen-Orient cette fois), la jeune fille désabusée tombée aux mains d’une bande de salauds, un homme politique véreux, la ville de New York cachant derrière ses façades une violence sale ; tout cela ne dépasse guère le niveau de la référence, de la reprise. Le récit se joue sous la coupe d’un manichéisme malsain – le politicien pédophile est totalement déshumanisé, dépourvu du moindre dialogue comme si Ramsay lui refusait jusqu’au statut de personnage – et le traitement des peurs et traumatismes belliqueux de Joe se limite à quelques flash-backs fainéants, montés de manière épileptique, les rendant au final assez superflus. Un choix difficilement pardonnable car on sent bien que l’on passe ici à côté de l’âme du film.


La frustration n’est pas en reste non plus côté esthétique. Si la photographie de Thomas Townend est loin d’être affreuse (voir la séquence subaquatique), la mise en scène tombe dans le piège de la surenchère. Montage anti-linéaire (les scènes d’action morcelées par des coupes franches et autres ellipses), cadres fixes et impersonnels (la réalisatrice ira jusqu’à adopter le point de vue de caméras de surveillance), l’aspect visuel du film tend vers l’arrogance à la vue de ses effets m’as-tu-vu. Encore une fois, la simplicité du discours tue dans l’œuf la moindre ouverture réflexive, même si l’on perçoit une analyse de notre rapport à la violence, une violence que l’on refuse de regarder en face même lorsqu’on y est directement confrontés. Ainsi, la mort est quasi-systématiquement laissée hors-champ. C’eût été pertinent à condition de ne pas trop esthétiser la barbarie que l’on est censé dénoncer lorsqu’elle se manifeste plein cadre.


Un bilan bien maigre pour ce film nombriliste et superficiellement malsain, étonnamment auréolé de deux prix à Cannes (Prix du Scénario et Prix d’Interprétation Masculine pour Joaquin Phoenix). Il faut dire que l’acteur n’a pas démérité, parvenant derrière sa carapace mentale et son corps massif à laisser entrevoir une certaine fragilité, allant de ce pas à l’encontre de toute représentation exagérément virile de la figure du justicier. C’est une bonne chose, mais c’est bien trop léger pour colmater les brèches du film.

Bewaretheblob
1
Écrit par

Créée

le 16 juin 2018

Critique lue 555 fois

5 j'aime

Bewaretheblob

Écrit par

Critique lue 555 fois

5

D'autres avis sur A Beautiful Day

A Beautiful Day
Velvetman
8

Camé et Léon

Il existe ces films qui vous happent physiquement, qui détiennent au fil des minutes une emprise machiavélique sur votre regard par rapport à l’image. A Beautiful Day fait partie de cette...

le 6 nov. 2017

101 j'aime

4

A Beautiful Day
Behind_the_Mask
8

The Death of Childhood

C'est un fantôme qui erre dans les rues, dans la nuit de Cincinatti. Sa démarche est lourde, sa silhouette épaisse. Il est hirsute, le regard parfois vide. Agité de traumas, comme l'image qui se...

le 6 nov. 2017

64 j'aime

14

A Beautiful Day
Clode
7

Un sourire

Joe aime les marteaux. Les marteaux noirs en acier, avec écrit dessus "Made in Usa" en petites lettres blanches. Dans sa main, les marteaux paraissent petits. Les marteaux sont gros, aussi gros qu’un...

le 9 nov. 2017

54 j'aime

4

Du même critique

L'Astragale
Bewaretheblob
2

Aaah, la vie... C'est pas tous les jours facile, hein ?

C'est ainsi que l'on pourrait résumer L'Astragale, nouveau film de Brigitte Sy, adaptation du roman autobiographique éponyme d'Albertine Sarrazin, jeune femme rebelle et anticonformiste, qui s'évade...

le 15 avr. 2015

11 j'aime

2

Cerise
Bewaretheblob
2

La cerise sans le gâteau...

Fort du succès commercial de son Paulette (que je n'ai pas encore vu), le réalisateur Jérôme Enrico revient avec Cerise, l'histoire d'une adolescente à problèmes, en conflit permanent avec sa mère et...

le 7 avr. 2015

11 j'aime

1

007 Spectre
Bewaretheblob
6

Le début de la fin ?

Mise au point : D’abord enthousiasmé par Spectre, j’en avais écrit une critique dithyrambique, louant ses qualités face à ses nombreux détracteurs (et d’ailleurs, un grand merci aux 639 lecteurs...

le 30 oct. 2015

9 j'aime

2