Ce qui ressort principalement de You were never really here (A beautiful day en France, certainement parce les français ne sont pas en capacité aux yeux des distributeurs de traduire you were never really here) , dès la sortie de la salle de cinéma, c'est un sentiment étrange, donnant l'impression d'avoir d'assisté à un film double, dans le sens où le sentiment d'un film plat et celui d'un film profond s'affrontent.


Je vous l'accorde, c'est sacrément paradoxal. L'explication réside au sein du scénario, certainement récompensé à Cannes pour cette dualité; si Lynne Ramsay présente le monde dans lequel Joe - le personnage principal campé par l'excellent Joaquin Phoenix - évolue comme un monde corrompu par des politiciens érigés en Caligula moderne et, qui plus est, ont fait main basse sur les fédéraux comme la police; si cette partie scénaristique a belle et bien de l'importance (sinon pourquoi être dans le scénario), elle n'est pas davantage approfondie et Lynne Ramsay ne s'attache pas à vouloir aller au-delà que le postulat présenté ci-dessus; le propos principal du film n'est pas la critique d'un système corrompu.


Si l'on cherche bien, ce que Lynne Ramsay souhaite montrer, c'est l'intégration d'un vétéran de guerre, blessé en son être par la guerre et l'horreur, et rempli d'une dette envers des enfants qu'il avait vu victimes du pire et qu'il n'avait pu sauvés. Cette rédemption le tient encore en éveil dans un monde qu'il s'efforce de quitter au travers de nombreuses tentatives de suicide.
Joe vit dans un monde parallèle qui n'est que ombres et ténèbres, demeure de l'ultraviolence, entre souvenirs angoissés de son enfance et de la guerre ainsi que des lieux lugubres (très inspiré des décors des films de Visconti au passage) d'où il sauve des enfants, souligné par une superbe BO au ton électronique.
Cependant, Lynne Ramsay s'amuse à dépeindre des plans extérieurs aux couleurs très vives à la joie de vivre affirmée accompagnés de mouvements de caméras d'une extrême fluidité donnant un caractère onirique à ces plans et qui contrastent avec l'esprit torturé de Joe. Sa mère joue au début du film le rôle cordon ombilical entre le monde réel et l'esprit de Joe, puis le relais sera pris par la fille du sénateur Votto qu'il a sauvée des griffes des politiciens pédophiles.


La mise en scène et le scénario appuient le sentiment que Joe se sent invisible et inutile dans ce monde. Ainsi, il compatit avec un autre homme de main qu'il a blessé mortellement, ils sont tous deux en proie à la même tristesse d'esprit, la triste impression d'être invisible. L'autre preuve de ce sentiment est le titre original du film, You were never really here ( tu n'étais jamais vraiment là), qui traduit bien ce sentiment de transparence ressenti par Joe.


Lors de la scène finale, lorsque, dans son esprit, Joe se suicide, Lynne Ramsay montre avec un humour noir et décalé à quel point la mort de Joe ne résoudrait rien. Une balle dans la tête ne suffit pas, le monde autour de lui ne s'arrête pas de vivre. Et la serveuse de glisser naturellement son ticket de caisse sur son sang frais assorti d'un cinglant "Have a nice day", que l'on peut voir comme une preuve de l'inutilité du suicide de Joe; la vie vaut le coup d'être vécue.


La phrase finale que l'on doit à la fille du sénateur Votto ( "It's a beautiful day", d'où le fameux titre français) montre le véritable message d'espoir de Lynne Ramsay, qui présente finalement un film optimiste, où Joe parvient à surmonter son traumatisme.


You were never really here est un film dur et à la fois optimiste, de part ses couleurs vives, ses séquences oniriques et son message final, et dont les récompenses à Cannes ne sont pas usurpés.

Inspecteur_Michel
8

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Créée

le 19 nov. 2017

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Jean Louis

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