A mon sens, ce « vigilante movie » n’a rien de vraiment exceptionnel ou d’original. Il nous raconte une énième fois le récit de la vengeance sanglante d’un laissé pour compte associable et violent contre des monstres encore plus violents que lui.


C’est la manière dont le personnage est traité, et dont un cinéma d’auteur américain a tendance légèrement snob traite le sujet qui me semble intéressante. Reste à voir si la stylisation des effets et l’omniprésence du corps de Joaquin Phoenix qui absorbe tellement de violence qu’il semble sur le point d’éclater, suffiront à rendre le film intéressant.


Le film commence par nous décrire le quotidien de Joe, un tueur à gage, et il prend son temps. Ce pied de nez au genre fait valeur de manifeste : voici une histoire que vous connaissez, mais on va vous la raconter d’une manière différente. Le contexte dans lequel vit le personnage est plus important que l’action qui va le définir. Ce temps du quotidien est placé sous le signe de la fragilité, orienté vers l’imminence de la mort, du suicide, pénétré par l’absence de désir de vivre. La scène d’introduction qui permet au spectateur d’identifier le genre du film signale que la violence ne va pas tarder à advenir, reste à savoir où. Au sein de sa relation avec sa mère qui perd la boule ? La routine creuse et angoissante est agrémentée de jump scares en forme de flashback allusifs mais très rapidement identifiables à des épisodes « clichés » de l’enfance maltraitée et d’autres moments de la vie du héros.


Durant la première partie du film, qui précède l’élément déclencheur de l’intrigue proprement dite, l’économie de moyens dont il fait preuve annonce un film qui ne sera pas forcément généreux, même lors de ses séquences d’actions. La mise en scène élégante et allusive des motifs propres au genre (meurtres sanglants, description du mode opératoire et du milieu criminel dans lequel les personnages évoluent) est assez sage, très sérieuse, et nous renvoie sans cesse à un inconscient de spectateur qui a déjà vu ces scènes, ces attitudes, ces rapports virils et froids entre des personnages durs.
Ce temps « mort » est sans doute trop long, un peu ennuyant, et pas assez décalé de la manière de représenter habituellement les étapes obligées pour proposer un regard nouveau sur le genre. Cependant, il est peut-être le temps nécessaire pour qu’advienne une forme d’étonnement face au corps d’un acteur que l’on connaît bien, transfiguré par une énorme barbe, une musculature boursouflée et des cicatrices omniprésentes. C’est en fin de compte ce corps fatigué qui donne son rythme aux séquences par sa démarche lente et encombrée.
Ces scènes ont le mérite de faire ressentir la lassitude de Joe, qui évolue dans ce milieu depuis plusieurs années, totalement déprimé et solitaire, qui ne vit plus que pour défoncer le crâne de représentants du mal absolu incarnés par une élite politique corrompue et pédophile. C’est aussi tous les Batman, et autres super héros « vigilante » qui passent au travers de cette figure là. Sa stylisation est elle aussi représentative d’un super héros : look très clairement identifiable, marteau comme arme fétiche avec l’inscription « Made in America » dessus (inscription sur laquelle la caméra s’attarde fort longtemps, comme pour accentuer la lourdeur d’une métaphore d’un contrepoint ironique pas véritablement assumé). Cet accessoire est très loin de devenir aussi culte que le marteau de Old Boy, de Drive ou encore des pistolets dissimulés de Taxi Driver. Le marteau est ici simplement décoratif, tout le temps exhibé jusque dans l’affiche qu’il partage avec le visage de Joaquin Phoenix, mais jamais vraiment utilisé, ou bien quasiment hors champ lors de séquences de baston à la mise en scène un peu brouillonne. Symbole totémique d’une virilité qui s’exhibe partout mais qui se révèle totalement inefficace pour affronter les problèmes de la vie ?


La deuxième partie s’accélère. Le complot politique à l’échelle d’un Etat est anecdotique. La mort de la mère, seul personnage proche de Joe est traitée assez rapidement par rapport à ce que le début du film annonçait.


Au contraire, on s’attarde sur une scène où Joe accompagne l’agonie de l’homme de main qui vient d’assassiner sa mère. Il s’allonge à côté de lui, prend sa main, ils chantent une chanson ensemble, sur le sol de la cuisine familiale. C’est une des rares scènes du film où l’on sent que quelque chose est « osé », l’exploration profonde de l’âme du personnage principal au travers d’une scène où l’émotion est convoquée au travers du grotesque. La vengeance est désamorcée par la douceur et la reconnaissance d’autrui en une personne qui est à la fois un inconnu et un ennemi mortel. Le héros américain s’appesantit progressivement, pèse encore plus lourd que d’habitude, s’endort à moitié par terre. Il n’a plus rien à faire que de s’étendre et de jouer sa propre agonie aux côtés d’un mourant. Il est la violence du monde et la détresse morale qui l’accompagne. Le choc et la dépression, le clown triste et le consolateur.


Ceci nous amène directement à la fin du film. L’avant dernière scène avait comme pied de nez malin le fait que la petite fille blonde se libère elle-même de son bourreau sans l’aide du héros. Héros qui cherchait la mort, la violence jusqu’à l’épuisement de son corps maltraité, et qui du coup ne trouve pas son compte dans cette résolution.


L’épilogue est néanmoins trop court pour montrer cette dépression. La tentation du suicide est grande mais la vitalité revient chez Joe grâce à l’enthousiasme stoïque de la jeune fille et à cette réplique : « It’s a beautifull day ».


Ce qui est étonnant c’est que ce temps de la reconstruction n’est pas celui du film. Montrer « l’après » serait trop long, trop pauvre d’un point de vue dramaturgique ? Il n’est cependant pas hors-sujet. Aux Etats-Unis en tout cas, ce n’est peut-être pas le temps du cinéma, plutôt celui des séries. Ce que le film me semble exprimer de manière inconsciente est une sorte d’aveux de ses propres limites. Les moyens expressifs du cinéma sont grands, ses acteurs sont sublimes et fascinants, mais le temps durant lequel il nous tient ne peut raconter que le spectaculaire, le sensationnel, en tout cas un monde « hors du monde ».
Cinéma et quotidien s’entendent en général assez mal. Ou alors un quotidien orienté vers la mort et la disparition prochaine.

AndreiCarpentier
6

Créée

le 3 janv. 2018

Critique lue 162 fois

Critique lue 162 fois

D'autres avis sur A Beautiful Day

A Beautiful Day
Velvetman
8

Camé et Léon

Il existe ces films qui vous happent physiquement, qui détiennent au fil des minutes une emprise machiavélique sur votre regard par rapport à l’image. A Beautiful Day fait partie de cette...

le 6 nov. 2017

101 j'aime

4

A Beautiful Day
Behind_the_Mask
8

The Death of Childhood

C'est un fantôme qui erre dans les rues, dans la nuit de Cincinatti. Sa démarche est lourde, sa silhouette épaisse. Il est hirsute, le regard parfois vide. Agité de traumas, comme l'image qui se...

le 6 nov. 2017

64 j'aime

14

A Beautiful Day
Clode
7

Un sourire

Joe aime les marteaux. Les marteaux noirs en acier, avec écrit dessus "Made in Usa" en petites lettres blanches. Dans sa main, les marteaux paraissent petits. Les marteaux sont gros, aussi gros qu’un...

le 9 nov. 2017

54 j'aime

4