Précédé par sa bonne réputation, A Ghost Story, réalisé par David Lowery, arrive à Strasbourg. L'occasion de passer une soirée au calme dans un siège trop moelleux et pas assez haut entre deux repas de fêtes.


C (Casey Aflleck) est en couple avec M (Rooney Mara) dans leur petite maison de campagne, dont il vont bientôt déménager. Mais C décède dans un accident de la route. Son fantôme va alors "hanter" la maison qu'il occupait et être témoin des arrivées de tous ses futurs habitants. Et de ses anciens.


Cette critique va être assez difficile car ce film m'a laissé une sensation assez bâtarde.


Bâtarde car je m'étais rarement autant ennuyé au cinéma, mais j'avais rarement trouvé un film aussi poétique.


Le film se découpe vraiment en trois morceaux bien distincts et presque égaux dans la durée.


Le premier concerne le fantôme de C, dans son grand drap blanc simplement percé de deux trous, qui regarde sa femme progresser dans son deuil. Il faut avouer que dès ce premier tiers, le traitement du temps qui passe est très particulier. M peut ainsi passer trois fois de suite devant le fantôme de C en l'espace de quelques secondes, prendre à chaque fois ses clés et sortir de la maison. On comprend par là que la routine de M reprend malgré le deuil et que le fantôme, dans son errance éternelle, n'a plus du tout la même conception du temps. Ce traitement faisant montre d'une grande originalité sera utilisé tout le long du film, dont une même scène peut voir s'écouler plusieurs jours voire plusieurs décennies.


Mais néanmoins d'autres scènes illustrent le temps qui semble s'arrêter après le décès de l'être aimé, et durent pour cela des minutes entières. Les deux premières choses que font M après être revenue de la morgue, c'est faire la vaisselle et manger une tarte. Bien.
Dix minutes. Dix minutes où il ne se passe que ça. Cinq bonnes minutes de Rooney Mara mangeant une tarte assise dans sa cuisine en plan fixe. A ce moment-là, la question qui me vient est "Ai-je vraiment payé neuf euros pour voir cinq bonnes minutes de Rooney Mara mangeant une tarte assise dans sa cuisine en plan fixe?"


Ce premier tiers est d'une lenteur à mourir. Il ne se passe quasiment rien d'intéressant pendant une grosse demie heure. Et je peux difficilement parler du jeu des acteurs, puisque Casey Affleck est recouvert d'un drap et ne fait que marcher lentement ou rester immobile dans une maison, et Rooney Mara passe presque déjà un quart de son temps d'écran à faire la vaisselle et manger une tarte assise dans sa cuisine en plan fixe.


Lors du deuxième tiers, M déménage et C doit rester dans la maison en étant séparé une deuxième fois de son amour. De nouveaux habitants arrivent, et C a bien du mal à les supporter. Sa colère est très bien représentée et le travail de mise en scène permet de capter l'intensité de la scène malgré l'absence de visage, cachée derrière le drap, et de paroles. Suite à la colère du fantôme, d'autres locataires emménagent. Lors d'une scène de fête, un personnage au charisme douteux tente de nous présenter, pendant de longues minutes, tout le propos du film, par un laïus qui semble alimenté par une philosophie de comptoir : toute trace que nous laisserons sur Terre ne durera pas face à l'éternité du temps.


Ce propos est intéressant, mais le speech trop long et pas forcément très bien joué l'illustre moins bien que le troisième tiers. Enfin le fantôme est confronté à autre chose que de nouveaux locataires bruyants. Il va être témoin de tout ce que le temps a effacé avant lui et tout ce qu'il effacera après.


Ce troisième tiers est grandiose. On y atteint enfin tout ce que l'on sentait poindre dans les autres parties. Le propos du film est très bien utilisé; un rebondissement majeur, original et brillamment mis en scène, permet de mesurer l'étendue de la solitude du personnage, de son incapacité à avoir la moindre influence sur les événements. On retrouve plus que jamais le traitement superbe du temps qui passe. Toutes les scènes sont emplies d'une poésie magnifique qui émeut comme jamais. Il y a beaucoup d'éléments parsemés dans les deux premiers tiers qui trouvent un aboutissement dans ce dernier, mais il serait assez long de les répertorier de manière exhaustive, et surtout en aucun cas je ne voudrais spoiler. Mais tout le film semble alors entrer en résonance, les petites traces laissées ici et là par le passé revenant comme par écho dans le futur.


Ce dernier tiers fait partie de ce que j'ai pu voir de plus touchant au cinéma. Avec un personnage principal sans visage et sans paroles. N'en faut-il pas, de la maestria, pour réussir un tel exploit ?


Voila pourquoi je parlais de sensation bâtarde. Avec un début extrêmement mou (mais j'en viens à croire que c'était totalement voulu) et un propos mal défini, le film se conclut sur trente dernières minutes d'une intensité émotionnelle incroyable, d'une poésie douce et touchante.


En sortant de la salle, j'étais perplexe. A Ghost Story est clairement un OVNI.


Le lendemain, j'avais un avis très mitigé sur le film. Puis je l'ai laissé mûrir et il m'en est resté plus de bons souvenirs que de mauvais. Comme après quelques années de deuil, lorsque l'on apprend à se souvenir autrement, en faisant fi de ce qui nous malmenait.


Je conseille ce film. Oui. Si vous réussissez à vous armer de courage, au terme d'un étrange voyage, pas toujours passionnant, et d'un développement crescendo, vous vous trouverez face à une merveille de poésie. Si vous réussissez à vous armer de courage, je pense que vous serez heureux d'avoir vraiment payé neuf euros pour voir cinq bonnes minutes de Rooney Mara mangeant une tarte assise dans sa cuisine en plan fixe.

QuentinYuanMalt
7
Écrit par

Créée

le 6 janv. 2018

Critique lue 236 fois

2 j'aime

Yuan Cloudheart

Écrit par

Critique lue 236 fois

2

D'autres avis sur A Ghost Story

A Ghost Story
Velvetman
7

Death Note

Après la vie, l’amour, vient le deuil. Avec l’incroyable A Ghost Story, David Lowery tente de chercher cette petite étincelle d’humanité qui survit après notre mort, à travers la tristesse de...

le 21 déc. 2017

134 j'aime

8

A Ghost Story
Behind_the_Mask
8

Ce qui reste

Un simple drap pour raconter une histoire de fantôme. Comme si nous étions revenus à l'âge de l'enfance. Mais une histoire comme aucune autre. C'est une histoire sur ce qui reste. Comme la lumière...

le 10 janv. 2018

133 j'aime

11

A Ghost Story
Alicia_87
9

Ghost in translation

Présenté en compétition du festival américain de Deauville 2017, « A Ghost story » est un film qui transcende. De portée universelle et cosmique, ce film offre une réflexion poétique sur la vie :...

le 6 sept. 2017

77 j'aime

10

Du même critique

Alice: Otherlands
QuentinYuanMalt
2

Je me sens si mal d'écrire une telle critique...

Comprenons-nous bien : j'ai adoré Madness Returns. C'est un de mes jeux préférés de tous les temps, je l'ai fini plusieurs fois, j'ai presque voué un culte à ce jeu. Après Madness Returns, son...

le 2 nov. 2015

5 j'aime

4

Gone Girl
QuentinYuanMalt
9

Gorgone Girl

Je voulais vraiment le voir, ce film. J'ai proposé à des amis, dont un était sceptique. Je lui ai vendu ça: "C'est un David Fincher, ça peut pas être mauvais" Ce film nous présente l'histoire de...

le 15 nov. 2014

3 j'aime

Au poste !
QuentinYuanMalt
8

22 !

Après Réalité que j'avais vraiment adoré, Quentin Dupieux, probablement le réalisateur le plus créatif et barré du cinéma français, revient avec Au Poste ! Le commissaire Buron enquête sur la mort...

le 16 juil. 2018

2 j'aime

1