Le passé demeure éternellement immobile

Une histoire de fantômes, racontée du point de vue du ou des fantômes, c'est relativement courant quand on y pense. "Ghost", "The Sixth Sense", "The Others", "Beetlejuice", "Casper"... Néanmoins, il y a toujours une notion anthropomorphique du fantôme, une présence physique et une idée d'humanité perceptible dans le visage et les dialogues, qui fait que finalement, ce sont des histoires où les gens morts apprennent à dire au revoir aux vivants et à laisser leurs regrets derrière. On trouve aussi une tonalité dans ces films soit horrifique, soit romantique, soit comique et parfois un peu de tout.


"A Ghost Story" prend une approche sensiblement différente, dans le sens où il joue la carte du sérieux et du "réalisme" (aussi réaliste que peut l'être un fantôme) tout du long, en suivant le parcours d'un homme de sa mort jusqu'à son repos éternel. La particularité du film, c'est de nous montrer en détails tout ce qu'il se passe entre les deux, sans surnaturel ou presque et sans beaucoup de discussions, mais avec beaucoup de contemplation.


Déjà, le film prend tout le temps de s'attarder sur la notion du deuil de ceux qui restent derrière. De longs plans fixes permettent d'assimiler toute l'intensité de ces moments, et l'importance qu'ils revêtent quand il s'agit de passer à autre chose. Fait assez rare aussi, on assiste aux moments où les proches font leur deuil et se remettent à vivre, et cela sans surnaturel aucun, sans discussion ou aide du fantôme, simplement la vie qui continue. Le fantôme, lui, n'est pas là pour aider les vivants à avancer, il est là parce que lui-même est bloqué et perdu, et a du mal à trouver un sens à sa condition. On en revient à l'essence du concept d'ectoplasme traditionnel, parfaitement illustré par ce simple drap qui se déplace.
Pas de discussions avec l'au-delà ici, pas vraiment de surnaturel visible qui interagit avec le monde des vivants, pas d'horreur non plus à part quelques moments de tension. Non, toute l'intensité de "A Ghost Story", c'est de nous faire ressentir d'un point de vue sensiblement "réaliste" de ce qu'impliquerait la condition fantomatique.


Le design du fantôme, un simple drap avec des yeux, ne pourrait pas mieux exprimer toute la tragédie de ceux qui sont entre les deux mondes. Ils peuvent voir, mais ne peuvent communiquer (à part avec les autres fantômes, et ces conversations sont brèves, à distance et ne peuvent leur permettre d'avancer). Ils peuvent se déplacer, mais toute manipulation compliquée leur est interdite. Toute notion du temps devient inexistante, et peu à peu, la colère, la confusion et le désespoir deviennent les seules émotions qu'ils ressentent. Il y a une vraie tragédie qui se joue derrière ces simples déchirures dans un drap, dans cette immobilité qui définit aussi bien leur position physique que émotionnelle.
Les grands thèmes abordés dans le film demeurent assez classiques néanmoins, rien de jamais vu, mais ils sont abordés d'un point de vue personnel et introspectif via les images, la réalisation et le cadrage, ce qui reste le plus important.


Du point de vue de la réalisation, tout ce qui touche à la lumière et les couleurs apparaissent magnifiques, renforcés par les longs plans fixes, illustrant l'aspect contemplatif de la mort et de la vie. Il s'agit probablement de ce rythme, très lent, qui rebutera plus d'un spectateur. C'est la définition même d'un film indépendant, qui profite de sa liberté d'expression pour rendre une histoire où brille l'aspect artistique et le propos, et non pas le divertissement et la satisfaction immédiate.


"A Ghost Story" se présente donc comme un film d'auteur, qui selon le propre aveu de son réalisateur, aurait pu être plus court, mais il a décidé de ne pas se laisser brider par ces concepts de temps, et il s'est contenté de raconter l'histoire qu'il souhaitait sans entrave, sans craindre de lasser son auditoire.
"A Ghost Story" ne sera pas accessible à tous compte tenu de son angle de vue et de son rythme, mais il laissera une profonde impression et émotion à ceux qui auront su se laisser porter par son message.

Therru_babayaga
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le 24 juin 2018

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Therru_babayaga

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