A première vue, A History of Violence pourrait, au regard d’œuvres comme La Mouche, eXistenZ, Le Festin nu, Crash ou Vidéodrome, passer pour un Cronenberg plus sage, ou plus terre à terre. Et, au sens graphique du terme, c'est sans doutes le cas, mais le film n'en est pas pour le moins parfaitement ancré dans la filmographie du Canadien. Attention, ça risque de spoiler un peu.
En effet, cette étude de personnage fascinante propose un caractéristique déjà observée par le passé chez Cronenberg, la dualité, et la transformation (ici plus mentale que physique) d'un homme lambda en un être violent et dangereux.
Cet homme, c'est Tom Stall (Viggo Mortensen, qui n'aurait pas pu être mieux casté), un gars tranquille avec deux gosses, une jolie femme et un boulot posé, dans une petite ville où tout le monde se connait. Un jour, alors que son café est braqué, il développe de super réflexes et réussi à tuer les deux truands, et devient un héros. Sauf qu'en fait, ça l'arrange pas trop d'avoir sa tête dans tous les journaux, et sa célébrité récente va vite faire resurgir de vieux démons.
Carl Fogarty, tout d'abord, campé par un Ed Harris glaçant, son œil gauche HS, souvenir lointain d'une époque dont il ne se souvient que trop bien, et que Tom s'efforce d'oublier. Enfin, je dis Tom, mais en vrai, si Tom Stall fait trop nom d'emprunt, c'est parce que c'est le cas. Il y a des années, il était Joey Cusack, à Philadelphie, et si Fogarty n'a plus qu'un œil, c'est que Joey maniait bien le fil barbelé.
Lors de la première apparition de Fogarty, le spectateur, tout comme les amis et la famille de Tom, fait encore confiance à son protagoniste. Il est trop clean, trop calme, trop gentil, pour avoir été ce tueur de Philly... Et pourtant, au fur et à mesure que l'intrigue avance, tout le monde, et nous avec, est forcé de se rendre à l'évidence. Nous avons étés dupés. Et c'est brillant.
Ce qui l'est également, c'est le parallèle avec la mise en scène. Débutant calmement, par un long-plan séquence en travelling, puis par la présentation de la famille Stall, Cronenberg nous fera voir lui aussi, par moments, son autre visage, son côté Joey Cusack, lorsque la violence envahi ses plans. Il ne laisse rien à l'imagination, montrant le visage éclaté du premier braqueur, le nez enfoncé dans le crâne de l'un des gorilles de Fogarty, ou la trachée écrasée de l'un des hommes de main de son frère, le deuxième vieux démon, ce dernier rappel de sa vie d'avant, qu'il va retrouver comme il l'avait quitté, dans le sang et la violence, avant de retourner chez lui.
Mais rien ne sera plus jamais comme avant, la maison est calme, les regards craintifs. La famille Stall accueille Joey comme un étranger, parce que c'est ce qu'il est devenu. Parce qu'au fond, malgré tous ses efforts, il sera toujours Joey Cusack, avec un passé violent.