Tiré de la nouvelle Supertoys Last All Summer Long, le processus de création d’A.I. Artificial Intelligence préfigurait du potentiel hors-norme du projet : car l’idée de cette adaptation ayant germé dans l’esprit de Stanley Kubrick, pour finalement atterrir entre les mains de Steven Spielberg, la mention de ces pontes hors-normes laisse derechef rêveur. Suite au trépas du premier-cité, le papa de Jurassic Park endossa donc la casquette d’artisan luxueux, scénario compris (en compagnie de Ian Watson), pour un résultat qui m’aura considérablement marqué durant mon enfance... quid d’un verdict actualisé ?


Une interrogation nullement dénuée d’intérêt, son visionnage récent contredisant quelques acquis de longue date telle sa justesse, mais dressons-en d’abord une synthèse de fond : le fait est qu’A.I. brasse de nombreuses thématiques sous un couvert faussement féerique, le récit prenant dans sa globalité des allures de conte moderne... assurément désenchanté. Dans le contexte pessimiste du réchauffement climatique, l’avènement de la robotique et de l’IA atteint son paroxysme en parallèle de la régulation des naissances, d’où le concept saugrenu que voici : l’enfant-robot.


Si l’incongruité de la chose ne saurait exclure tout forme de logique, notamment appuyée par l’introduction pédagogique du prof’ Hobby, disons que c’est l’exécution qui nous enjoint à la circonspection : car si A.I. pouvait dès lors se prévaloir d’un certain propos critique, la manière donc il exacerbera l’inconséquence de ses protagonistes tue la réflexion dans l’œuf. Encore que nous pourrions gracier la pauvre Monica, victime des circonstances et d’un mari sidérant au bout du compte, qui sera d’ailleurs proprement exclu de l’amour éternel promis par Cybertronics via David (il n’y en a que pour maman : et le deuxième parent dans tout ça ?).


Henri se fait donc le bras-armé d’une intrigue multipliant les ressorts archi-téléphonés pour faire avancer le schmilblick, rôle que suivra également avec assiduité Martin : un énième exemple des plus parlants de la subtilité en berne du tout, lui qui forcera l’antipathie avec une verve faussement enfantine. Quant à David... ses premiers pas tiennent littéralement du récit horrifique, ou tout du moins gênant à n’en plus finir. Là encore, l’effet n’est pas illogique, mais le fait est que A.I. fait preuve d’une excessivité des plus prononcées dans l’installation d’un climat perturbant, l’effet étant d’autant plus étrange que l’empreinte graphique du tout en rajoute une bonne couche : son vernis « guimauvesque » est à juste titre d’une part sacrément vilain, et d’autre part en totale adéquation avec le trop-plein émotionnel que tente d’instiller ce bon vieux Spielberg (et compagnie).


Conforté par la bande originale un chouïa horripilante de John Williams, A.I. sacrifie donc ses thématiques pertinentes sur l’autel d’un sensationnalisme discret, cette antinomie se traduisant par une mièvrerie ambiante confinant au paradoxe : là où le conte de fée se la colle avec un univers moderne au bord du gouffre. Et le pire est que, même décrit ainsi, le potentiel demeure ! Les regrets s’affermissent qui plus est au contact d’un casting faisant de son mieux, Haley Joel Osment s’en tirant à bon compte au même titre que Jude Law, parfait en gigolo 2.0, ou encore un fameux dénouement pas si inintéressant.


Car au terme d’un périple régi par l’ennui, de grosses ficelles prévisibles et une atmosphère prêtant à la grimace, ce brusque bond en avant (deux millénaires tout de même) fait mine de parfaitement conclure la quête de David : l’ironie étant que, au sortir d’une aventure sans espoir et d’une telle attente, le bougre aura finalement eu ce qu’il voulait en étant le plus humain d’entre tous. Mais à quel prix ? Là encore, le constat vaut bien une nuance, ce même final se tirant un balle dans le pied au travers d’un « songe » de 24h versant dans un pathos estomaquant.


C’est à se demander, quand bien même la question n’aurait d’autre finalité que de brasser du vent, ce qu’aurait pu faire Kubrick d’un tel projet.

NiERONiMO
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le 16 avr. 2019

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