Auteurs d'une oeuvre inégale, les Frères Cohen n'ont jamais suscité chez moi ce désir de proximité avec leur cinéma. Ce sont des coups d'un soir franchement sympathiques de temps en temps (The Big Lebowski, Fargo), virtuoses parfois (Le Grand Saut), fascinant et glauques rarement (No Country For Old Man), mais le plus souvent un peu honteux.


Ici les cinéastes restent fidèles à eux-mêmes et se mettent encore une fois dans la position d'entomologistes regardant de haut la faune de leurs personnages. Mais cette fois il y a une variation essentielle : si les 2 personnages principaux (Larry le mathématicien et son frère plongé dans ses études talmudiques) sont idiots, au sens littéral, ils sont sauvé par la morale et la bienveillance qui les animes. Plus que cela : de leur petite condition de petits humains juifs enfermés dans leur petite banlieue pavillonnaire, chacun va essayer de s'élever, de regarder plus haut non pas pour contrôler les autres mais pour voir le Monde, le comprendre et aider le genre humain.


L'affiche du film évoque la séquence la plus parlante à cet égard : Larry, qui au milieu de ses multiples tracas, monte sur le toit pour régler l'antenne de TV sous l'insistance de son fils. Un toit, le ciel, une échelle. L'homme connait alors un instant de stupéfaction, face à l'immensité du Monde, face à l'étalement de la vie humaine, face au silence de Dieu. Puis il se casse la gueule parce qu'il baisse les yeux et voit une femme à poil. Montage exemplaire.


Le métrage revêt un petit aspect film à sketch très efficace avec son introduction tirée de la mythologie hébraïque, sa digression sur le dentiste et les dents du Goy (dont la conclusion est hilarante) ou encore les séries de plaies qui s'abattent sur Larry et les rêves qui'l en tire.


Les frères Cohen signent là un film hyper bien cadré, parfaitement monté, toujours astucieusement interprété... Mais A Serious Man prends toute son importance dans ce qu'il abandonne l'ironie cynique pour la triste cruauté compatissante que peut avoir la culture Ashkénaze ou plus précisément Le Livre de Job qui pose directement la question du pourquoi les hommes droits (Serious Men) sont continuellement confrontés au mal et à la souffrance.


Tout comme Job, Larry va rencontrer 3 Rabbins pour l'aider à comprendre pourquoi il perd sa famille / sa vie et surtout comment reprendre le contrôle de son existence. Coup de force : dans cette Amérique des années 60, on voit toute la modernité de la civilisation occidentale qui a lissé les rapports humains avec des conventions, des rites (religieux ou sociaux) et des politesses qui ne font que masquer le fait que l'existence est engoncée dans une mécanique sociale, un système économique et des relations interpersonnelles inhumain.e.s.


La nullité des responsables de cultes, l'avidité des commerciaux, la sauvagerie du voisin goy, la mesquinerie des universitaires, la cupidité de l'amant de sa femme ou encore la froideur de l'étudiant coréen sont autant d'incarnation d'un monde froid, amoral, inhospitalier et résolument les yeux tournés sur le monde humain face à Larry qui cherche la vérité du Monde, reste empathique et le regard vers les étoiles. L'intelligence formelle des Cohen étant de réussir à rire de ces situation tout en conduisant un montage et des cadrages en soutien du personnage et non pour l'enfoncer davantage.


La fin du film est terrible. Sans Appel.

Dlra_Haou
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le 10 janv. 2018

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Martin ROMERIO

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